Quelle laïcité au Québec à l’aune du débat sur les prières municipales?

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Le fait religieux dans les assemblées délibérantes

Signe des temps, les demandes d’apostasie subiraient une hausse importante ces dernières semaines à tel point que les diocèses de Québec et de Montréal auraient reçu en un mois plus de deux fois plus de demandes qu’en une année. Quoique les propos controversés du pape Ratzinger sur la contraception, les récentes excommunications de laïcs ayant favorisé l’avortement ou les réintégrations de ministres du culte intégristes aient pu fortement influencer ces décisions, on ne peut les réduire à de simples réactions épidermiques. Quelque chose s’est rompu, nettement et durablement, entre une partie des citoyens québécois et l’Église catholique. Mais l’apostasie ne vaut pas qu’une simple rayure de nom sur des registres paroissiaux. La position, lourde de sens, implique de renier le lien formel qui unit l’individu à une communauté philosophique : cela revient aussi à briser un lien social.

Renoncer à la foi, voilà donc l’ultime étape choisie par des Québécois dans un cheminement qui a commencé avec la rapide désertion des églises dans les années 1960. D’autres, la majorité certainement, continuent de se revendiquer catholiques (environ 83 % des résidents du Québec selon Statistiques Canada), mais seuls un sur quatre serait effectivement de réguliers pratiquants.

Ces deux voies, somme toute assez différentes, reflètent néanmoins un constat clair : l’individu des sociétés post-matérialistes tend à dissocier la spiritualité (relevant de l’intime) de la pratique et du dogme.

Cet état de fait n’est pas anodin dans le quotidien de nos institutions et il n’est nul besoin de revenir sur les polémiques qu’ont suscitées les accommodements raisonnables ou les fameux cours d’éthique et de culture religieuse pour s’en rendre compte.

Le Québec se prétend aujourd’hui société où « les pouvoirs politiques et religieux sont séparés » (cf. notamment la nouvelle politique d’intégration des immigrants reconnaissant la liberté de conscience de ses administrés et réfuterait donc, a contrario, tout favoritisme religieux de l’État; et c’est selon ce principe, que l’on retrouve dans les articles 3 et 10 de la charte québécoise des droits et libertés de la personne, que les membres de la commission co-présidée par MM. Bouchard et Taylor ont recommandé « que les conseils municipaux abandonnent la récitation de la prière durant leurs séances publiques ». Pis, les commissaires préconisaient même « que le crucifix au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale soit retiré »!

La liberté de conscience des citoyens réaffirmée par la jurisprudence

Quelle que soit la justesse de ces recommandations qui ont soulevé bien des controverses, il n’en reste pas moins que certaines municipalités refusent toujours de remettre en cause leurs pratiques cultuelles susvisées. Quant à l’Assemblée nationale, elle s’est bien gardée de suivre la recommandation sur le crucifix puisque ce dernier a été maintenu par un vote unanime, le 22 mai 2008, des députés qui semblaient n’y voir là qu’un artefact d’intérêt patrimonial (peu importe que ce patrimoine soit strictement duplessiste) : cette motion consacrait son « attachement à notre patrimoine religieux et historique représenté notamment par le crucifix de notre salon bleu ».
Pour contrecarrer ces choix, les tribunaux québécois sont intervenus pour établir une jurisprudence rigoureuse et continue.

Les précédents judiciaires

Ainsi, plusieurs précédents existent en la matière, à commencer par le cas d’Outremont examiné par la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) en 2000. Le souci de conciliation, qui avait permis d’aboutir à une entente visant à remplacer la prière par un moment de recueillement, avait alors été jugé recevable.

La jurisprudence s’est par ailleurs précisée en septembre 2006, alors que le tribunal des droits de la personne s’était rendu aux arguments invoqués par Mme Danielle Payette et le CDPDJ en statuant sur le fait que de telles prières (en l’espèce au conseil municipal de Laval) devaient cesser, considérant que celles-ci portaient atteinte, « de façon discriminatoire, au droit à la reconnaissance et à l’exercice de la liberté de religion et de conscience » des citoyens.

Revigoré par ces deux antécédents judiciaires dans lesquels il avait appuyé les demandeurs, le Mouvement Laïque Québécois continue de soutenir les citoyens qui contesteraient en justice la récitation de prières dans les assemblées délibérantes municipales. Ainsi, il y a quelque mois, Mme Louise Hubert avait formulé la même demande à la mairie de Trois-Rivières et la CDPDJ lui a donné raison, notamment en raison du fait qu’« il découle des principes ainsi établis par le Tribunal qu’un citoyen, lorsqu’il assiste aux activités d’un corps public, est en droit de ne pas se voir contraint d’agir à l’encontre de ses croyances et de sa conscience ni de subir une pratique religieuse à laquelle il n’adhère pas, telle la récitation de la prière ». Depuis, le maire Lévesque s’est rangé derrière la décision de la CDPDJ, même si, avec beaucoup d’hypocrisie, il a contourné le jugement pour faire prononcer ladite prière par un de ces concitoyens non élus (notons que cette pratique n’en est pas moins illégale puisqu’elle contrevient à la Loi des citoyens et de villes du Québec limitant la prise de parole des citoyens aux seules périodes de questions…).

Les prières municipales au cœur de l’actualité : l’heure du choix?

60496.jpgEt l’actualité nous invite de nouveau à nous pencher sur le sujet puisque c’est au tour de la mairie de Saguenay d’être au cœur des chroniques judiciaires. Son maire, M. Tremblay a décidé de ne pas respecter la décision de la CDPDJ qui s’est prononcée à la suite de la plainte formulée par le citoyen Simoneau. Pour avoir volontairement passé outre cette décision, l’abus de droit est invoqué à l’encontre de l’édile. Les plaignants réclament conjointement la somme de 100 000 $.

Au-delà du strict enjeu pécuniaire pour la collectivité saguenéenne, la plainte déposée est fondée de telle sorte qu’elle incite le tribunal des droits de la personne à prononcer sur le caractère potentiellement « discriminatoire du décorum de l’assemblée qui comporte des symboles religieux ostentatoires ». En conséquence, advenant, la rétention de ce motif par le tribunal pour fonder son jugement, c’est la pérennité ou non du crucifix à l’Assemblée nationale qui en résultera.

D’ores et déjà, même si cela ne laisse rien présager pour la décision finale, le juge Pauzé en charge de l’affaire, a ordonné le retrait du crucifix dans une ordonnance en date du 31 mars 2009.

On le voit, l’objet de ce nouveau procès dépasse la question de la pertinence de paroles ou de décorations à connotations religieuses dans les assemblées : ces rites sont dénoncés pour mieux forcer le judiciaire à prendre position sur le degré de séparation enter Églises et État. C’est, in fine, le caractère laïque de la société québécoise qui se trouve au cœur des débats. Du multiculturalisme d’inspiration libérale tel que défini dans certaines politiques d’inspirations trudeauiste jusqu’au concept de laïcité, il est un choix à faire dont la Province ne pourra faire l’économie.

Quelle séparation du spirituel et du temporel pour quel choix de société?

Quelle laïcité le Québec doit-il inventer pour le XXIe siècle? D’ailleurs, la laïcité est-elle un concept encore pertinent pour affronter, pêle-mêle, les défis de l’intégration de nos immigrants, de la menace des intégrismes et du besoin de se référer à des valeurs solides pour répondre aux multiples questions d’ordre éthique? En bref, est-elle le fruit dépassé d’archaïques querelles ou un idéal suffisamment mobilisateur pour répondre collectivement aux défis de l’avenir et inspirer pour de bon les rapports entre États et citoyens, dans toutes leurs diversités? Les choix qui s’offrent au Québec ne sont pas binaires, mais il convient de revenir sur les deux grands courants philosophiques de rapports entre l’État et les Églises pour mieux cerner les voies qui s’offrent à lui.

A. La laïcité « à la française »

Le concept de laïcité à la française, souvent considéré comme le plus radical, est de toute évidence fort différent de celui adopté par la fédération canadienne, le Royaume-Uni ou les États-Unis. Le modèle républicain français est fondé sur le résultat d’une soustraction des prosélytismes religieux de la sphère publique, c’est-à-dire la suspension de la foi comme base de l’association politique. Celle-ci se fonde sur le pouvoir critique et rationnel d’individus singuliers et libres et qui n’ont aucune dette, du coup, à l’égard d’une quelconque appartenance religieuse, culturelle ou autre. Cette conception, fruit des Lumières, doit beaucoup à Condorcet prônant la souveraineté individuelle. « L’individu n’a aucune raison de faire confiance, de croire sur parole […]; dans ces conditions l’État devra faire le maximum pour armer les citoyens contre l’erreur. [Tel est] le rôle de la loi qui est là pour protéger l’instruction, pour écarter les pouvoirs, toujours suspects, autrement dit pour garantir l’indépendance de chacun ».

En conséquence, pour que l’État respecte toutes les croyances de manière égale, il ne devrait en reconnaître aucune. Constitutionnellement, ce principe été énoncé essentiellement en deux temps, à commencer, bien sûr, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (notons toutefois le fait que ses rédacteurs se placent « en présence et sous les auspices de l’Être suprême ») qui garantit « la libre communication des pensées » (art. XI). Enfin, l’article 1er de la Constitution de 1958, énonce que « La France est une République […] laïque ».

De ces deux dispositions, nous pouvons déduire que la laïcité, en France, doit s’appréhender comme étant une séparation formelle et réciproque entre les Églises et l’État. Concrètement, cela s’est traduit juridiquement par l’adoption de la loi relative à la séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 disposant que si « la République assure la liberté de conscience [elle] ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art. 1 et 2).

B. Une laïcité d’inspiration anglo-saxonne?

1. Un Canada déiste, mais multiculturel

L’autre système plus « anglo-saxon » est fondé sur une conception éclatée de communautarismes juxtaposés, c’est-à-dire une communauté de communautés, pour reprendre l’expression de l’ex-premier ministre Joe Clark (cf. Joe Clark, Plaidoyer pour un pays mal-aimé, trad. Desrosiers, Libre Expression, Montréal, 1994). L’État détermine alors ce qu’il est en mesure de tolérer dans le cadre de sa responsabilité de sûreté publique, de protection des biens et de paix civile, notamment en veillant à harmoniser les différentes composantes de la nation. Cela l’amène nécessairement à accommoder autant que faire se peut les différentes communautés culturelles et religieuses. Nous pouvons finalement schématiser cette approche en considérant qu’elle consiste en l’addition des signes religieux et devrait, par principe, n’en exclure aucun.

Cette vision est on ne peut plus conforme à l’approche ultralibérale selon laquelle il convient de se prémunir des abus de l’État contre nos libertés civiles. L’État doit donc composer sans cesse avec les différentes communautés et la traduction du droit, la loi, devra donc être à géométrie variable, tantôt pour satisfaire telle communauté, tantôt pour ne pas indisposer une autre.

C’est sous ce prétexte de tout accepter avec comme seule limite « l’ordre public » que l’Islamic Institute of Civil Justice in Canada (littéralement Institut islamique de justice civile, à visée supra-provinciale) a commencé à rendre des décisions en matière de mariage, de divorce ou encore d’héritage en 1991, dans la Province de l’Ontario. Ce n’est qu’en septembre 2005 que le Premier ministre ontarien, M. Dalton McGuinty déclara l’abolition de tous les tribunaux religieux (rabbinique, islamique, anglican, etc.) de la province, en revenant à un principe simple : une même loi pour tous les Ontariens.

2. La séparation souple aux États-Unis d’Amérique

180px-US_Great_Seal_Reverse.svg.pngÀ cette voie, nous associerons volontiers celle prise par la république étatsunienne, fortement imprégnée par les valeurs chrétiennes (de traditions toutefois variées : puritaine pour la Nouvelle-Angleterre, mais encore baptiste, méthodiste ou catholique). Pourtant, même si, dès la Révolution, l’idée de séparation laïque apparaît comme incontournable, notamment en raison des nombreux échanges avec les Lumières, le partisan de la séparation du spirituel et du temporel qu’est Georges Washington sera aussi le premier Président américain à prêter serment sur la Bible.

Le fait religieux est accepté, il est surtout reconnu par la puissance publique : pensons notamment aux États où, à l’occasion d’un procès, le témoin doit jurer de dire la vérité sur un document jugé « sacré », celui-ci aura la possibilité de faire son choix parmi plusieurs « documents » religieux de différentes obédiences. La tension persistante entre séparation et reconnaissance trouve son principal fondement dans le paradoxe entre la déclaration d’indépendance américaine, rédigée par Thomas Jefferson en 1776, faisant référence à un Dieu qui légitime les droits invoqués ensuite et le premier amendement du 12 décembre 1791 de la constitution de 1787 qui dispose que « le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion » : les États-Unis d’Amérique reconnaissent Dieu, mais se refusent d’en réglementer le culte.

3. La monarchie constitutionnelle anglicane britannique

Voie extrême, la Grande-Bretagne est un État chrétien anglican dont le chef est obligatoirement de religion protestante anglicane et assume simultanément la fonction de chef suprême de l’Église d’Angleterre. C’est un constat lourd de sens pour l’ancien dominion qu’est le Canada, quand il s’agit de rappeler que la Reine demeure toujours son chef d’État.

Ceci étant dit, la Grande-Bretagne est aujourd’hui connue pour son extrême tolérance à l’égard des courants religieux qu’elle stimule par un multiculturalisme forcené.

4. Quelle option choisir pour le Québec?

a) L’impasse de la voie canadienne

Pourquoi avons-nous jugé bon d’établir cet état des lieux? Simplement parce que nous jugeons, sans tomber dans le positivisme juridique, que, quelle que soit l’opinion publique, le droit n’est pas qu’un simple reflet de la société : il peut aussi être prescripteur, particulièrement quand il s’agit des blocs constitutionnels nationaux. Si la France a exclu, au moins théoriquement, Dieu des débats politiques, il n’en va pas de même au Canada. Nous l’avons vu, Dieu est présent dans la Constitution canadienne qui, bien que jamais acceptée par le Québec, l’y assujettit. Et ce n’est pas tout, puisqu’il est aussi présent dans le préambule de la Charte des droits et libertés dont les articles découlent « que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Or nous savons toute l’importance que revêtent les chartes de libertés dans les démocraties libérales…

Dans un article passé, nous affirmions déjà que « le multiculturalisme peut paraître séduisant pour les libéraux de tous les pays parce qu’il est par principe assez peu “coûteux” : intégrer une communauté nationale tout en préservant sa culture, sans fournir d’effort à l’égard de sa nouvelle société d’accueil, est assez simple… Mais cet idéal ne résiste pas à l’épreuve des faits. Il débouche inéluctablement sur le communautarisme le plus exacerbé, tout en fragilisant les bases d’un “vivre-ensemble” partagé et transcendant les cultures, croyances et philosophies ». Comme le disait Vivian Barbot, ex-députée de Papineau du Bloc Québécois, il faut faire en sorte que nos immigrés aient envie « de se joindre à une nation qui a une histoire, des valeurs, une culture et un désir de vivre ensemble [pour] favoriser l’intégration de tous au sein de la nation québécoise et de préserver un espace neutre et laïc ». Et cette position interculturaliste fait relativement consensus, car elle est considérée comme le chemin d’intégration officiel de la Province; on verra notamment pour illustrer les missions conférées au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles dont l’un des objectifs est de faire « la promotion, par différentes activités, du rapprochement interculturel ».

En bref, nous avons l’intime conviction que le Québec ne saura sortir des vicissitudes des accommodements raisonnables et autres turpitudes religieuses sans constitutionnaliser la laïcité. N’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps encore, étudier se faisait sous les auspices de l’Église. La Révolution tranquille avait peut-être laïcisé les institutions, mais il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que l’école publique devienne laïque. Une société laïcisée n’est donc pas nécessairement inatteignable à moyen terme.

b) La laïcité garante des convictions de chacun

Le débat n’est pas inutile. Le fait que des citoyens de ces communes aient été violemment bousculés en plein conseil municipal pour défendre la neutralité de leur municipalité l’atteste : des relents d’obscurantismes ressortent de ces comportements, alors même que les assemblées municipales devraient être un lieu privilégié d’échanges pacifiés dans la vie de la cité. La laïcité peut donc se poser en tant que rempart à la pensée unique religieuse et, plus largement, philosophique.

La laïcité est rationaliste dans le sens qui en est donné par Gaston Bachelard : il faut « remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique ». Nous pensons que contribuer, par sa neutralité, à ce que l’individu puisse cheminer librement dans sa Raison est une des premières missions de l’État : la laïcité doit donc protéger la liberté de penser.

Cette neutralité des institutions prévaut aussi dans le respect de la diversité. La démocratique reconnaissance de la diversité d’opinion, de croyance, de conviction, etc. implique nécessairement le fait qu’aucune de ses identités intellectuelles ne soit privilégiée, au risque, à défaut, de mettre au ban de la société tout un pan de cette diversité, qui constitue autant de richesse. En refusant la primauté d’un groupe sur un autre, la laïcité protège la liberté de croire.

Au point de confluence de ces deux aspects, il y a la pratique collective de la laïcité qui permet la libre pratique individuelle du culte religieux, dans les limites et le respect des lois et règlements, au sens qu’implique déjà l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne qui érige la liberté de conscience, de religion, d’opinion, d’expression, la réunion pacifique et d’association en liberté fondamentale.

La rigueur juridique au service de la paix sociale

A. Le faux débat de la « laïcité ouverte »

Nous conclurons notre propos en expliquant ce pour quoi les défenseurs d’une laïcité prétendument ouverte se trompent en acceptant de justifier ces écarts pour de raisons de traditions.

En théorie, la laïcité « à la française » ne se décline pas, elle s’applique, point. La fameuse loi de 1905 introduit les principes de non-ingérence et de séparation avec les institutions religieuses. Pendant longtemps la France s’est contentée de cela et ce n’est qu’avec la judiciarisation progressive du débat que la laïcité a commencé à perdre du terrain. Des arrêts du Conseil d’État aux récents discours de Nicolas Sarkozy sur la « laïcité positive » en passant par la loi de 2004, c’est en cherchant à y apporter des réponses modulées et autres atermoiements que l’on a finalement réussi à la vider de sa substance.

Si la laïcité doit être protéiforme, car devant s’adapter au temps et à l’espace, elle doit néanmoins être homogène. Elle ne peut viser certaines communautés plutôt que d’autres. Elle doit, surtout, s’appliquer en priorité à l’État et à ses représentants élus. Ces derniers sont dépositaires d’un mandat donné par l’ensemble de la communauté des citoyens. Ils doivent ainsi s’efforcer de représenter toute la société, y compris ceux qui n’ont pas voté pour eux. C’est en ce sens que les membres du Conseil municipal de Saguenay tout comme ceux de l’Assemblée nationale du Québec ne peuvent et ne doivent cautionner la prééminence d’un culte sur l’autre que ce soit par une prière ou un crucifix.

Dans le quotidien Le Devoir des 27 et 28 octobre 2007, Gil Courtemanche, affirmait avec justesse que « les valeurs qui définissent le Québec d’aujourd’hui ne sont pas celles qui définissaient notre identité quand l’Église et Duplessis régnaient sur le Québec. […] Le catholicisme ne fait pas partie de l’ADN identitaire québécois, il fait partie de son curriculum vitæ ».

Pourquoi le citoyen lambda devrait se poser des questions sur le port de son symbole religieux quand d’autres ont le droit d’arborer les leurs jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir? Catholiques, anglicans et orthodoxes ne devraient être que des communautés culturelles parmi d’autres au sein d’une société plurielle et équitable. La faute ne pèse nullement sur les autres communautés qui sont logiquement en droit d’avoir des demandes similaires aux chrétiens. Accepter des passe-droits c’est ouvrir la boîte de Pandore des débats sans fin. La prétendue « laïcité ouverte », c’est en fait du « confessionnalisme suggéré »

B. Pour la constitutionnalisation du caractère laïque du Québec

1. La piste (inaboutie?) fournie par « Bouchard-Taylor »

Les conclusions de la commission Bouchard-Taylor ont été souvent critiquées. Ainsi, l’idée d’introduire un enseignement d’éthique et culture religieuse dans les écoles s’est avérée être un fiasco. Par exemple, considérant particulièrement le fait que le programme s’évertue à tisser des liens entre morale et religion, on regrettera qu’il soit finalement à peine fait mention de l’idée d’éthique, disons extrareligieuse (morale républicaine, valeurs philo-maçonnes, Lumières, etc.). On notera aussi avec regret une certaine approximation quant à l’approche adoptée à l’égard des principes généraux du droit (refus de la hiérarchisation des libertés fondamentales, droit à la dérogation juridique, etc.).

La commission, dans son rapport final, néanmoins qu’en « vertu du principe de neutralité, l’État ne peut faire siennes les visions du monde et les croyances profondes de tous les citoyens, qui sont multiples et parfois difficilement conciliables. » C’est donc à ce titre qu’il propose l’adoption de textes juridiques invoquant la laïcité. Malgré le retour d’un relativisme juridique (que nous ne partageons nullement), les commissaires en déduisent que si « un interdit […] concernant le port de signes religieux chez tous les employés de l’État ne nous semble pas justifié [il peut l’être] à l’égard d’un certain nombre de fonctions qui comportent un devoir de réserve (par exemple, celles de président de l’Assemblée nationale, de juge ou de policier). »

2. L’impartialité enfin consacrée

Puisque la tutelle de l’Église a été vécue comme une étouffante chape de plomb, l’avenir du modèle québécois devrait s’envisager avec un a priori favorable à la sensibilité française de la séparation du spirituel et du temporel plutôt qu’à l’esprit anglo-saxon.

Aussi, force est de reconnaître qu’une grande partie de la résolution du problème de l’expression cultuelle de certaines de nos institutions implique des changements majeurs dans le droit positif et dans son exercice. De notre point de vue, ces changements devraient être constitutionnels. Or, l’extrême latitude accordée aux religions se nourrit de l’obligation d’accommodement raisonnable qui est une construction juridique de la Cour suprême du Canada s’appuyant elle-même sur une charte introduisant le multiculturalisme. Malheureusement, très peu de souverainistes et d’autonomistes semblent parés à mener cette bataille.

Pourtant, c’est notamment en raison de l’émergence des droits dans des nations émancipées de la mainmise religieuse qu’ont pu apparaître des États démocratiques, insoumis aux groupes confessionnels rivaux. La laïcité est devenue une sorte de bien commun qu’il faut, coût que coût, préserver pour assurer la paix sociale. Alors si M. Tremblay pense qu’il « est poursuivi parce qu’on fait notre prière [et] parce qu’on aime le Bon Dieu », il se trompe grotesquement. Il est simplement poursuivi, en tant que représentant de la collectivité dans toute sa diversité et non en tant qu’individu, pour avoir privilégié une conscience plutôt qu’une autre.

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