On apprenait vendredi que Marine Le Pen, leader du Front national, le parti français d’extrême droite, serait arrivée au Québec. La démarche n’est pas anodine tant les crispations autour des questions nationales ont fait réémerger les discours souverainistes, et ce, à juste titre. La déréglementation croissante a précarisé les finances des États-nations et, en fin de compte, les citoyens. Pressentant la force de la puissance publique incarnée dans la nation au début du XXe siècle, Jean Jaurès, artisan du socialisme français, déclarait déjà « qu’à celui qui n’a rien, la Patrie est son seul bien ».
Depuis, une large partie des sociaux-démocrates et sociaux-libéraux s’est fourvoyée dans la globalisation, tétanisée qu’elle était par son incapacité à penser le monde de demain autrement qu’à l’aune de la doxa néo-libérale. La construction européenne, singulièrement depuis les années 1980, en est la parfaite illustration. Alors, certes, on ne peut nier qu’une certaine gauche est restée sourde aux cris de plus en plus forts d’une classe moyenne se prolétarisant dans la mondialisation. Et, d’une autre façon, on doit concéder qu’un pan de la droite est devenu insensible aux contextes nationaux.

Jean-Marie Le Pen et Ronald Reagan, président des États-Unis de 1981 à 1989.
Toutefois, ces égarements ne peuvent faire oublier que le Front national, aujourd’hui représenté par Mme Le Pen, fût lui-même un parti fondamentalement néo-libéral. Son père, Jean-Marie Le Pen, se voulait comme un pourfendeur de l’État, s’exhibant même aux médias comme le « Reagan français » (une photo de la rencontre entre Jean-Marie Le Pen et Ronald Reagan restera longtemps dans les présentations hagiographiques du FN… époque soigneusement masquée désormais). En bref, le Front national qui aujourd’hui prétend défendre un modèle national interventionniste dénonçait il y a peu « l’État pléthorique » et le « système d’inquisition fiscale comparable à la Gestapo » afin de « dénationaliser ce qui peut l’être ».
Toutefois, l’opération récente de dédiabolisation fonctionne à merveille. Malgré des relents d’antisyndicalisme primaire ou la volonté de déréglementer la protection sociale, le FN, nous le déplorons, réussit à susciter de la curiosité chez certains de nos compatriotes québécois. Ne nous trompons pas, le Front national est un parti démagogique et opportuniste qui prétend promouvoir les intérêts des États-nations quand il a pendant longtemps contribué à en démoniser le rôle. La seule boussole de ce parti, c’est de défendre ce que lui guident ses intérêts selon l’air du temps. L’histoire du FN se confond avec la volonté de pervertir le sens de l’État dans une visée discriminante et non pas avec l’idéal de protection des plus faibles.