Les bœufs sont lents mais la terre est patiente

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Il y a quelque chose d’original d’avoir l’ambition de redonner la vie à ce blogue quand il s’agit de livrer une analyse sur le sort réservé au Bloc québécois aux élections du 2 mai dernier. Cet exercice est personnel et je n’ai pas l’ambition de prétendre savoir lire dans le marc de café ou dans le foie des volailles…

Rendons à César ce qui appartient… à Harper

N’en doutons pas, le grand succès du premier ministre Harper ne réside pas que dans l’obtention d’une Chambre des communes majoritaire. C’est une fin qui n’aurait pu être espérée sans un travail de longue haleine de l’équipe conservatrice : en poussant la polarisation des débats à leur maximum, Stephen Harper vient de mettre un point d’arrêt à cette idée selon laquelle le Canada se gouverne au centre, dans le plus grand consensualisme. Les exemples sont nombreux et il est inutile de revenir sur les cas où le Gouvernement Harper a joué d’un certain esprit de provocation pour cristalliser le débat autour de lignes idéologiques claires.

Victime collatérale logique, le « parti de gouvernement naturel du Canada » qu’était le Parti libéral du Canada n’est plus que l’ombre de lui-même. Le remplacement de Stéphane Dion par Michael Ignatieff n’aura donc rien changé au lent déclin au parti de Wilfrid Laurier : qu’il s’agisse de fidélité électorale de certaines communautés, du bastion torontois ou de la forteresse des provinces de l’Atlantique, les libéraux n’ont pu contenir la marée bleue inexorablement montante depuis 2006. Parmi les signes avant-coureurs de ce phénomène, le journaliste Martin Croteau décrivait, peu de jours avant le vote, comment l’électorat juif torontois se distançait peu à peu de ses vieilles habitudes en appuyant de plus en plus massivement les conservateurs.

Les deux mandats minoritaires de Stephen Harper ont démontré que le Canada pouvait se gouverner à droite. Et pour s’opposer à une vraie droite, rien ne vaut une bonne gauche, plutôt qu’un centre prêt à tendre l’autre joue.

La liquidation de la question nationale?

Le Bloc se retrouve donc avec quatre députés à la Chambre. Le résultat a été sévère et souvent injuste pour ceux qui ont perdu : pensons à la qualité du travail réalisé par des députés comme Pierre Paquette, Bernard Bigras ou le prometteur Thierry Saint-Cyr. Surtout, ayons une pensée pour Gilles Duceppe dont le score est une véritable insulte pour le travail accompli ces 20 dernières années. Cette éviction ne fait pas honneur à la carrière de ce grand politicien. Dans une situation plus flatteuse qu’un René Lévesque autrement plus détesté par ses concitoyens à la fin de son second mandat de premier ministre, l’Histoire saura rapidement retenir son nom aux côtés d’autres grands défenseurs de la Nation québécoise.

Malgré cette lourde défaite, je crois qu’il serait faux de croire en la fin de l’option souverainiste. On ne peut tirer un trait sur plus de 50 ans de militantisme au prétexte d’une désastreuse journée qui marque plutôt l’avènement incontestable de l’électeur consommateur.

Sauf que… dans ce contexte de « binarisation », des positions, de choc des idéologies, qu’elle pouvait être la place du Bloc québécois? Pourquoi envoyer un parti souverainiste à Ottawa quand l’idée est portée difficilement au Québec? Le Bloc québécois est un parti dont le cœur bat à gauche, modérément certes, mais à la pensée sociale-démocrate bien équilibrée en vue de répondre à la difficile exigence de représenter la Nation québécoise dans toute sa diversité. Mathieu Bock-Côté, dont j’avoue partager parfois les diagnostics, mais guère les réponses, prétendait même que le bloc « a instrumentalisé le nationalisme québécois pour le mettre au service des valeurs progressistes renommées “valeurs québécoises” bien difficiles à distinguer des valeurs de la gauche canadienne »… Je juge cette affirmation bien excessive quand on sait les convictions du monsieur, mais elle a le mérite de poser la question simplement : face au risque que représente une droite morale néoconservatrice et néolibérale, les citoyens québécois ont préféré s’en remettre à un parti ouvertement à gauche. Dans le doute, on préférera toujours choisir l’originale à la copie.

Pour autant, cet échec patent du Bloc doit-il être compris comme une mise au rencart de la souveraineté? Évidemment, non. Pourquoi? D’une part, parce qu’en dépit de la modeste représentation dont il disposera à Ottawa, le Bloc a tout de même réuni près du quart des voix des électeurs québécois. La grande volatilité de l’électorat dans les deux dernières semaines précédant l’élection a mis à plat ventre le parti souverainiste à qui l’on accordait encore une éclatante victoire peu de temps avant. Souvenons-nous que même Québec pouvait être regagné par le Bloc à l’occasion de cette élection. D’autre part, le sondage Léger Marketing/Le Devoir du 16 avril dernier, donc deux semaines avant le scrutin du 2 mai, indique un niveau d’appui de 43 % à la souveraineté si un référendum « avait lieu aujourd’hui » (page 11). Il faut donc en déduire que le changement de stratégie du Bloc québécois dans la dernière étape, en orientant son discours vers le cœur de l’électorat souverainiste (notamment avec l’entrée en scène de M. Jacques Parizeau), n’a pas réussi. C’est donc une évidence que de dire que le Nouveau parti démocratique a su capter une très large frange du vote indépendantiste.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, la batterie de sondage réalisée conjointement par le Bloc et les Intellectuels pour la souveraineté il y a presque 1 an, à l’occasion des 20 ans de l’existence du parti, démontrait très clairement que les Québécois croyaient en leur capacité de faire de notre Province un Pays et en la viabilité de celui-ci, mais seuls 45 % d’entre eux affirmaient que la souveraineté est réalisable. Il en résulte, dès lors, que 82 % des Québécois préféraient vouloir s’ouvrir une ronde de négociations pour entente constitutionnelle satisfaisant le Québec.

En élisant une large majorité de députés néo-démocrates, les Québécois ont tenté de renouveler leur stratégie d’affirmation nationale, celle-là même que les partis du Québec peinent actuellement à redéfinir. La responsabilité qui pèse sur les épaules du NPD est donc très grande d’autant que les Québécois continuent de montrer leur attachement aux minimales conditions de l’Accord du lac Meech. Dans le cas d’une nouvelle ronde de négociations, celles-ci constitueraient un socle non négociable. En prétendant vouloir réintégrer le Québec dans la Constitution, Jack Layton a créé de grands espoirs qu’il ne pourra décevoir.

Et demain?

En dépit de mon indépendantisme, en tant qu’homme de gauche, je ne peux que regarder avec un brin de sympathie cette percée majeure du NPD. Bien sûr, ce dernier est centralisateur; bien sûr, le profil de certains de ses nouveaux élus peut laisser perplexe; bien sûr, finalement, mon vote irait quoiqu’il arrive au Bloc… Cependant, à l’aube d’une législature qui sera certainement longue, nous n’avons d’autre choix que de prendre notre mal en patience et de laisser le bénéfice du doute aux députés du caucus québécois. La Démocratie a parlé, à nous, Citoyens, d’être vigilants pour l’avenir.

Les possibles scénarios pour demain sont extrêmement nombreux, et l’histoire nous a montré que la politique canadienne peut aussi être très vicieuse : la nuit des longs couteaux du 6 au 7 novembre 1981 et le rapatriement unilatéral de la Constitution l’attestent allègrement. Imaginons le cas où le Gouvernement conservateur de Stephen Harper proposerait une entente a minima au Québec pour le réintégrer en tant que Province dans la Constitution. Sans « chien de garde » bloquiste à Ottawa, pour reprendre l’expression de M. Jacques Parizeau, et tant que les libéraux de Jean Charest seront majoritaires à Québec, une telle stratégie mènerait à une cruelle perte de sens du camp souverainiste. Les fédéralistes provinciaux et fédéraux, en s’entendant sur un accord du Lac Meech II, éloigneraient résolument les « souverainistes mous » de l’idée d’indépendance. Stephen Harper pourrait donc s’enorgueillir d’avoir recomposé la politique canadienne sur un fort axe gauche-droite tout en se débarrassant de la question nationale québécoise. À cet égard, il apparaît donc d’autant plus aberrant d’évoquer la mort du Bloc et c’est justement dans cette configuration qu’il pourrait retrouver toute sa pertinence. Le Bloc québécois a un genou à terre, mais il reste le meilleur outil pour protéger les intérêts des Québécois.

En fait, le Québec vit en ce moment une période politique extraordinaire, une sorte de crise où tout devient d’une incroyable labilité et où tout redevient possible. Pour reprendre encore Gramsci, « la crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». Le Canada tel que nous le connaissons ne pouvait éternellement vivre dans cette schizophrénie politique, sans connaître quelques soubresauts. Le Québec, a contrario, ne pouvait rester dans le rôle de l’éternel adolescent; il est aujourd’hui face à un choix plus clair que jamais : s’émanciper ou se banaliser dramatiquement dans le Canada. Les élections provinciales seront le prochain grand rendez-vous : retroussons nos manches! Comme le disait Falardeau, « les bœufs sont lents, mais la terre est patiente »…

Le véritable coût de cette élection canadienne

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Les contribuables québécois paieront 20 % des quelque 300 millions que coûte cette élection canadienne, mais les coûts en sont infiniment plus élevés pour notre avenir comme nation. Nous sommes revenus au temps où les élections se gagnaient en promettant des bouts de chemin. Aujourd’hui, ce sont des ponts ou des édifices que l’on promet de payer aux contribuables québécois avec leur propre argent. Et si, dans trois ans, le Québec pouvait décider par lui-même où il met ses ressources, sans que ses priorités et ses valeurs ne soient en compétition avec celles du reste du Canada.

À la défensive ou hors-jeu

Dans cette élection, on reproche encore une fois au Bloc québécois de jouer à la défensive, voire d’exister, sous couvert d’appels au changement. Et pourtant, tant qu’il y aura des élections canadiennes sur le territoire du Québec, le Québec peut-il être ailleurs que dans l’opposition?

La dynamique canadienne fait en sorte que le poids du Québec diminue au Parlement canadien et par conséquent dans tous les partis fédéralistes. Le rapatriement de la constitution canadienne en 1982, sans le consentement du Québec, sans aucune consultation de la population, nous le rappelle douloureusement. Depuis ce temps, les juges de la Cour suprême nommés par Ottawa ont invalidé de nombreux articles de la loi 101 qui protège le français au Québec. Or, c’est au moment où le Québec se croyait au pouvoir avec 74 députés libéraux sur 75, bien avant la création du Bloc, que la loi constitutionnelle de 1982 fut adoptée par le Parlement canadien à l’encontre de la volonté du Québec.

Les exemples de cette impuissance des députés fédéralistes à Ottawa abondent, qu’ils soient conservateurs, libéraux ou NPD. Ils ne jouent même pas à la défensive. Ils sont tout simplement hors-jeu, leur opinion étant noyée, contrée, filtrée par la majorité de leurs collègues et la direction de leur parti.

Le coût d’une élection canadienne

L’État canadien ignore les priorités et les valeurs du Québec et prend nos 50 milliards de dollars de taxes par année pour les investir dans la construction du Canada. Ainsi, la défense canadienne coûtera aux Québécois 4,6 milliards par année pour les 20 prochaines années si nous restons dans le Canada. Cette somme dépasse le déficit actuel du Québec. Pourtant, avec quelques avions militaires de moins, nous pourrions financer nos universités sans augmenter les frais de scolarité.
Par ailleurs, le gouvernement canadien a investi ces dernières années 14 milliards de dollars dans l’exploitation pétrolière en Alberta et 6 milliards de plus dans le développement du nucléaire principalement en Ontario; pendant ce temps, pas un seul dollar n’a été dépensé par Ottawa au profit du développement de l’hydro-électricité au Québec.

Proportionnellement à notre population, c’est donc 4 milliards de nos impôts qui ont servi à développer les ressources énergétiques des autres provinces.

Autre exemple, sur les 58 milliards investis en recherche-développement par Ottawa de 1993 à 2007, près de 60 % l’ont été en Ontario; nous en avons payé 12 milliards de dollars pour n’en recevoir que 9.

Enfin, l’État canadien met tout en œuvre depuis plusieurs décennies pour développer Toronto comme centre financier international et comme centre des transports et des communications, au détriment de Montréal.

De la péréquation ou des investissements?

Cette élection canadienne illustre une situation inacceptable qui nous prive de ressources essentielles alors que nous en avons un urgent besoin en éducation, en santé et pour notre développement économique durable, comme l’a démontré le récent budget du Québec dont les coupures et les augmentations nous font régresser.

Certaines provinces accusent le Québec de se payer des services sociaux sur le dos des provinces pétrolières, mais comme le souligne le récent document budgétaire du Québec sur les transferts fédéraux « il est faux d’affirmer que c’est avec la péréquation que le Québec finance des services publics plus généreux que la moyenne canadienne. C’est par des impôts et taxes plus élevés ».

Globalement, le Québec ne reçoit pas plus d’argent d’Ottawa qu’il y en envoie, si ce n’est sa part du service d’une dette que le fédéral a contractée sans nous demander notre avis, laquelle a servi à dédoubler les services de l’État québécois, à faire des dépenses à l’encontre des priorités du Québec ou certaines dépenses utiles que nous aurions pu faire nous-mêmes.

Pour que ce soit la dernière fois

S’il y a une chose qu’a démontrée la crise financière de 2008-2009, c’est l’importance du rôle d’un État souverain. Sans les gouvernements et leurs investissements massifs pour renflouer l’économie, nous allions vers une catastrophe mondiale. L’unité et la cohérence de l’action de l’État pour catalyser les moyens d’une société sont primordiales. Cette cohérence est actuellement canadienne, illustrée par le soutien massif aux industries de l’automobile et du pétrole en Ontario et en Alberta. Elle pourrait être totalement québécoise. Avec le double du budget actuel, un Québec indépendant dépenserait 100 % de nos taxes et impôt en fonction des priorités et des besoins du Québec. Nous pourrions réaliser un projet d’indépendance énergétique par la coordination de nos politiques en énergie, en transport, en environnement, en politique industrielle, en éducation, en communication, en commerce extérieur, responsabilités dont une bonne partie nous échappe.

Actuellement, nous finançons notre propre assujettissement et cédons des responsabilités collectives que doit assumer toute nation qui se respecte. Cette élection est coûteuse et nuisible pour le Québec. Il faut que ce soit la dernière élection canadienne que nous laissions se tenir sur le territoire du Québec. Il suffit qu’une majorité d’entre nous décident de mettre fin à notre dépendance fiscale et politique, pour entrer dans l’économie du 21e siècle. En attendant, nous n’avons d’autre choix que de consolider notre opposition à ce régime en votant pour le Bloc à Ottawa.

Le CA des Intellectuels-les pour la souveraineté (IPSO)
Gilbert Paquette, Micheline Labelle, Ercilia Palacio-Quintin, Florent Michelot, Mathieu Gauthier-Pilote, Jocelyne Couture, André Binette, Vladimir De Thezier, Andrée Lajoie, Louis Larochelle, Philippe Leclerc, Siegfried Mathelet.