Élection de Donald Trump : à quelque chose malheur est bon

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Logo de CIBLChronique hebdomadaire à La Matinale de CIBL 101,5 Montréal

Si à quelque chose malheur est bon, alors l’implacable montée des populismes de droite et l’élection de Donald J. Trump nous obligent à serrer les dents, à réfléchir, à ne rien faire d’autre que d’assumer les conséquences de nos propres turpitudes. Pour, finalement, plus tard relever la tête.

Le Front national, un ennemi historique de l’État-nation

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On apprenait vendredi que Marine Le Pen, leader du Front national, le parti français d’extrême droite, serait arrivée au Québec. La démarche n’est pas anodine tant les crispations autour des questions nationales ont fait réémerger les discours souverainistes, et ce, à juste titre. La déréglementation croissante a précarisé les finances des États-nations et, en fin de compte, les citoyens. Pressentant la force de la puissance publique incarnée dans la nation au début du XXe siècle, Jean Jaurès, artisan du socialisme français, déclarait déjà « qu’à celui qui n’a rien, la Patrie est son seul bien ».

Depuis, une large partie des sociaux-démocrates et sociaux-libéraux s’est fourvoyée dans la globalisation, tétanisée qu’elle était par son incapacité à penser le monde de demain autrement qu’à l’aune de la doxa néo-libérale. La construction européenne, singulièrement depuis les années 1980, en est la parfaite illustration. Alors, certes, on ne peut nier qu’une certaine gauche est restée sourde aux cris de plus en plus forts d’une classe moyenne se prolétarisant dans la mondialisation. Et, d’une autre façon, on doit concéder qu’un pan de la droite est devenu insensible aux contextes nationaux.

Jean-Marie Le Pen et Ronald Reagan, président des États-Unis de 1981 à 1989.

Jean-Marie Le Pen et Ronald Reagan, président des États-Unis de 1981 à 1989.

Toutefois, ces égarements ne peuvent faire oublier que le Front national, aujourd’hui représenté par Mme Le Pen, fût lui-même un parti fondamentalement néo-libéral. Son père, Jean-Marie Le Pen, se voulait comme un pourfendeur de l’État, s’exhibant même aux médias comme le « Reagan français » (une photo de la rencontre entre Jean-Marie Le Pen et Ronald Reagan restera longtemps dans les présentations hagiographiques du FN… époque soigneusement masquée désormais). En bref, le Front national qui aujourd’hui prétend défendre un modèle national interventionniste dénonçait il y a peu « l’État pléthorique » et le « système d’inquisition fiscale comparable à la Gestapo » afin de « dénationaliser ce qui peut l’être ».

Toutefois, l’opération récente de dédiabolisation fonctionne à merveille. Malgré des relents d’antisyndicalisme primaire ou la volonté de déréglementer la protection sociale, le FN, nous le déplorons, réussit à susciter de la curiosité chez certains de nos compatriotes québécois. Ne nous trompons pas, le Front national est un parti démagogique et opportuniste qui prétend promouvoir les intérêts des États-nations quand il a pendant longtemps contribué à en démoniser le rôle. La seule boussole de ce parti, c’est de défendre ce que lui guident ses intérêts selon l’air du temps. L’histoire du FN se confond avec la volonté de pervertir le sens de l’État dans une visée discriminante et non pas avec l’idéal de protection des plus faibles.


Tract de Jean-Marie Le Pen de 1974

Alain Soral au Québec : confession d’un dragueur d’extrême droite

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À l’invitation de groupes locaux, « l’intellectuel » franco-suisse Alain Soral sera au Québec au cours de la prochaine semaine. La venue de ce condamné pour incitation à la haine raciale fait notamment suite à celle du skinhead Serge Ayoub, l’an dernier, aussi connu sous l’évocateur pseudonyme de « Batskin ». Or, que l’on ne se méprenne pas, la présence de ces idéologues d’extrême droite n’a rien d’un insignifiant folklore, car, en dépit du passé de ces individus, nous avons affaire à des individus qui dépassent l’imagerie traditionnelle et caricaturale du ségrégationniste.

Tel que l’exprime le nom du regroupement de M. Soral, Égalité et réconciliation, ils développent des discours qui ont l’ambition de faire la synthèse : « droite des valeurs et gauche du travail » sont la pierre angulaire de leur doctrine. D’ailleurs, dans cet effort de résoudre une improbable quadrature du cercle idéologique, Alain Soral ne décrit-il pas aimablement Jean-Marie Le Pen, dont il fût quelque temps le conseiller, comme « un personnage entre De Gaulle et Chavez » [1]? Plus réalistement, n’oublions pas que celui-ci, d’abord encarté au Parti communiste français s’était fait connaître au début des années 1990 en s’évertuant à rallier communistes et nationalistes-extrêmes contre le libéralisme international incarné par « Wall Street, le sionisme, la bourse de Francfort et les nains de Tokyo » [2]. Toute une perspective…

En fait, son discours est fortement marqué par un tiers-mondisme de façade et c’est ce qui peut séduire en surface. Lorsque l’on gratte, on constate néanmoins rapidement que cela l’amène à faire preuve d’une grande magnanimité, par exemple, à l’égard du régime iranien dont il fût plusieurs fois l’invité aux côtés de Dieudonné et Thierry Meyssan. Magnanimité d’autant plus grande quand on reconnaît les points de convergences qu’il entretient avec le président Ahmadinejad qui souhaite la destruction d’Israël et avec la vision rétrograde du rapport hommes — femmes des ayatollahs, car, pour lui, l’Islam est « une religion virile et simple » [3]. Lecture religieuse complètement fantasque, mais qui lui permet de justifier l’autre pan de sa rhétorique fumeuse, basée sur le clouage au pilori de l’émancipation des femmes et la condamnation de l’homosexualité, cette « perversion » [4] selon ces propres mots.

Ceci étant, le cas particulier de M. Soral ne mérite pas de consacrer plus de temps. Son parcours, ses idées et ses liens organiques avec certains groupuscules ont été longuement étudiés, notamment au Québec par le site FachoWatch.com. Ce qu’il convient de faire, plus précisément, c’est de marquer clairement notre opposition au fait que le mouvement nationaliste québécois puisse être influencé par un verbiage national-révolutionnaire que n’auraient pas renié les Jacques Doriot ou Marcel Déat des années 1930.

Il est vrai que les extrêmes droites et leurs raisonnements tentent de poindre leur nez, parfois de bonne foi, par une imprudente méconnaissance des faits, ou plus rarement volontairement, par l’action de nationaux-socialistes revendiqués, tels ceux de Faction nationaliste. Toutefois, le Québec des idées n’a nullement besoin de ça pour grandir et s’enrichir : la vigilance est présente et une chose est donc certaine, « vous ne passerez pas », jamais.


[1] Christophe Deloire, Le Point, 20 novembre 2006

[2] Jean-Paul Cruse, L’idiot international, mai 1993. Alain Soral en est coauteur.

[3] Alain Soral, Abécédaires de la bêtise ambiante : Jusqu’où va-t-on descendre?, 2008

[4] Ibid.