Uber ou l’encéphalogramme législatif plat

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Texte publié dans l’édition du 17 mai 2016 du quotidien Le Devoir

Trois jours après le dépôt du projet de Loi 100 par le ministre des Transports Jacques Daoust qui, en pratique, revient à interdire Uber, les militants du PLQ ont forcé le premier ministre et son gouvernement à un curieux rétropédalage. En clôture du Conseil général du parti qui se tenait ce dimanche à Drummondville, Philippe Couillard a annoncé un « chantier sur l’économie du partage ».

Uber et tant d’autres compagnies qui ont émergé ces dernières années autour du web participatif ont contribué à structurer une économie souterraine qui, jusque là, était par définition dissimulée. Ainsi, le phénomène a permis à ce que des entreprises s’engouffrent, au nez et à la barbe de la puissance publique, dans des champs d’activités souvent hyperréglementés.

Quand réglementation et malthusianisme ne font plus qu’un

À juste titre, la réglementation dans le milieu de l’hôtellerie et du transport a répondu à la nécessité de sécurité des usagers. Avec succès, la puissance publique a joué son rôle en agissant de la sorte.

Cependant, l’industrie du taxi est symptomatique de ce que la réglementation a pu avoir de pervers sur la qualité générale du service. Le caractère limité des licences a conduit au malthusianisme économique, c’est-à-dire à la restriction volontaire de la production, en ce qu’elle a de délétère notamment en ce qui concerne le nivellement du service. Or, en offrant des prestations aussi basiques aujourd’hui que la géolocalisation des véhicules et le paiement par carte de crédit, Uber a mis un coup de pied salutaire dans la fourmilière. Pourtant, la logique malthusienne sous-jacente à la limitation de l’offre de transport collectif défie tout bon sens économique, social et environnemental en milieu urbain.

Les effets délétères d’Uber

Cela étant, les plateformes de type Uber (et elles sont nombreuses, Uber n’est que la partie émergée) ne sont pas la panacée. Le travail dissimulé que cela génère est réel et désastreux à plusieurs titres. On le sait, il constitue une concurrence déloyale entre des entreprises qui, d’une part, appliquent les règles du jeu et celles, d’autres part, qui s’en moquent. Ensuite, il contribue au déficit de financement de la protection sociale et de l’effort collectif que nous devons à la société. Finalement, le travail dissimulé confine à une abjecte exploitation des travailleurs en portant atteinte à leurs droits droits essentiels quant aux conditions de rémunération et de travail.

Sauf que l’évitement fiscal et le travail au noir n’ont rien de nouveau et les États modernes ont su aménager des solutions plus ou moins performantes pour endiguer une réalité aussi ancienne qu’inévitable.

L’inintelligence législative

Sans la moindre sympathie particulière pour cette compagnie, Uber a pâti de ce statut de chef de file de l’économie dite « collaborative ». Il n’est toutefois rien d’autre que l’arbre qui cache la forêt d’un écosystème entrepreneurial déjà étendu et dont les États méconnaissent l’existence. Punir une société qui s’est moquée effrontément des gouvernements, cela est parfaitement justifié, mais, dans le meilleur des cas, c’est reculer pour mieux sauter.

En ouvrant ce fameux « chantier sur l’économie du partage », le gouvernement doit maintenant faire la preuve de sa capacité à encadrer une économie virtuelle sans en décapiter des pans pour se donner bonne conscience. Dans l’intérêt de la protection des travailleurs et de la pérennisation de notre modèle social, le gouvernement a le devoir de ne pas se contenter de gesticulations. Pourtant, comme le qualifie le Conseiller municipal Guillaume Lavoie, avec le covoiturage urbain et, plus généralement, le partage par l’entremise des technologies, nous avons affaire à un « phénomène irréversible ».

Dans ce cas-ci, à la différence d’autres juridictions dans le monde, Montréal et Québec sont passés à côté de l’essentiel et, pour répondre aux défis du XXIe siècle, notre société ne pourra se contenter de si peu d’imagination dans son rapport au système productif. Cependant, les choses avancent, petit à petit. Dès le mois de juin, les résidants de l’arrondissement de Rosemont–La-Petite-Patrie pourront louer « leur stationnement, un bout de terrain, un coin de garage ou de sous-sol ». C’est bien peu de choses, certes, mais c’est déjà beaucoup plus innovant que ce que le gouvernement propose à ce jour.

La marche d’un peuple : du printemps érable au changement de paradigme

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Texte publié sur Vigile et le Huffington Post et cosigné avec Élisabeth Émond, diplômée de science politique de l’UQÀM, présidente d’Option nationale dans Laurier-Dorion

Il y a un peu plus d’un an débutait ce qui allait devenir l’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu le Québec : le bien nommé « printemps érable ». Cette formule reprise par la presse internationale, en référence aux révoltes populaires qui ont secoué le Maghreb quelques mois plus tôt, ouvrait la porte aux plus grandes espérances.

Comme le disait Antonio Gramsci, « il y a crise lorsque le vieux ne veut pas mourir et que le neuf ne peut pas naître ». Quoique parfois confus dans son expression, ce mouvement a su fédérer des citoyens de toutes générations aux revendications multiples. Pour paraphraser Nietzsche, « atteindre son idéal, c’est le dépasser du même coup » et c’est pourquoi les revendications d’une société complète ont dépassé la seule question des frais de scolarité : cette indignation était latente et ne cherchait finalement qu’une étincelle pour s’éveiller.

Un point de rencontre unique

Le développement durable, en passe de devenir le grand référentiel qui guidera l’action publique des prochaines décennies a sans conteste été le cœur d’une convergence quasi naturelle entre les multiples sphères ayant animé le printemps érable. Ses trois pivots (social, écologie et économie) ont effectivement dessiné les contours d’une mobilisation qui allait marquer l’histoire du Québec.

D’abord, sur le plan social, le mouvement de grève relatif aux frais de scolarité s’inscrivait dans une certaine continuité d’un tremblement social à l’échelle mondiale. Le phénomène « Occupons », de Madrid à Montréal, a contribué aux premiers soubresauts et créé un terrain fertile pour les revendications citoyennes. Ensuite, en réunissant un demi million de citoyens dans les rues de Montréal pour la Journée de la Terre, la société québécoise exprimait une prise de conscience importante. Elle reconnaissait ainsi faire partie d’un écosystème marqué par une complexe codépendance et s’indignait de la façon inadéquate de gérer nos ressources environnementales. Enfin, dans une conjoncture où le système même du capitalisme financiarisé est de plus en plus critiqué, où les médecines rigoristes n’en finissent plus de montrer leurs effets néfastes, la question de la redistribution des richesses est redevenue une exigence. Le printemps érable a alors permis de faire rejaillir de la société civile, mais aussi des partis émergents, un discours économique progressiste et équitable, faisant ainsi taire l’espace d’un moment les discours misérabilistes et alarmistes des « déclinologues » de profession.

Catalyser la convergence des revendications

Ce point de rencontre était une impulsion tout indiquée pour entreprendre un virage qui aurait permis au Québec de se lancer sur la voie d’une nouvelle révolution tranquille. La sociologie politique nous apprend toutefois qu’une crise, si elle est le produit de ce genre de tensions, est aussi révélatrice de la solidité des institutions, c’est à dire des structures sociales en tant que système de relations sociales.

Les associations et syndicats étudiants ont joué un rôle prépondérant dans la mobilisation de la société. Toutefois, comme le mouvement national dépassait la seule question des frais de scolarité, il est vite devenu clair que ces groupes allaient devenir insuffisants pour canaliser l’ampleur de cette grogne aux multiples facettes.

Or, il est plus qu’évident que les deux grands partis historiques québécois, à la fois produits et facteurs de ces mêmes institutions, n’auraient pu relever le défi immense de ce virage qu’en allant à contre-courant de leur nature profonde. Cette ambition dépassait non pas leurs philosophies qui, autant sociale-démocrate que libérale, sont tout à fait louables et fondamentalement humanistes, mais elle dépassait leur mode de fonctionnement et leur rapport au citoyen, qui ne correspondent plus aux réalités et aux exigences de la société contemporaine. Quand les Québécois se sont levés, habités par cet aggiornamento, certains partis n’ont pu répondre présents.

Opérationnaliser le changement de paradigme

Tant que les partis politiques québécois baseront leur gouvernance sur le modèle technocratique désuet des Trente glorieuses, le Québec ne parviendra pas à se sortir de ce paradigme, dans lequel pourtant il ne se reconnaît plus. Tant que les prises de décisions ne composeront pas avec une refondation citoyenne participative, cette démocratie étouffera, encore, parce que confisquée.

Ainsi, nous pensons qu’il faut essentiellement deux évolutions au mode de gouvernance contemporain pour que puisse enfin émerger cette mutation, fortement revendiquée l’an passé, et rendue nécessaire par les impératifs du 21e siècle. Ces changements permettront, d’une part, d’activer le transfert de paradigme et, d’autre part, d’en assurer la pérennité sur le plan de nos institutions démocratiques.

Premièrement, la réappropriation du politique par la société civile est nécessaire. Si la mobilisation fut certes un élément prometteur pour un changement politique au Québec, elle est loin d’être suffisante. Ce mouvement doit maintenant s’accompagner d’une maîtrise et d’une compréhension de l’appareil politique. Le contraire supposerait que, de façon un peu hypocrite, on prétende opérer un changement majeur dans le mode de gouvernance de l’État sans jamais aller sur le fond de la chose. Ainsi, la pédagogie et l’éducation populaire seront des leviers primordiaux à une transformation en profondeur.

Deuxièmement, la mise en place d’une réforme devra impliquer un modèle de démocratie participative de standard élevé, visant ainsi à renouer avec les fondements de la démocratie moderne liée à la reddition de compte. Plus que le slogan galvaudé que l’on brandit trop souvent, il s’agirait donc là du plus fidèle garant d’un processus qui vise à redonner confiance en l’État de droit et à se réapproprier les sphères de pouvoir. Si certains acteurs prétendent s’inscrire dans un nouveau mode de gouvernance, ils devraient être en mesure de proposer concrètement une manière de « faire de la politique autrement », sans quoi leur discours ne servirait au final qu’à masquer un conservatisme méthodologique.

Changer la société, certainement, mais il serait aussi illusoire, pour ne pas dire contre-productif, d’espérer y parvenir en évoluant à sa marge. À cet effet, les conséquences de la crise économique qui s’étend à travers le monde nous rappellent la dangerosité de ceux qui prétendent « faire de la politique autrement » en s’exonérant des règles démocratiques, sous prétexte des vicissitudes passées.

La Révolution tranquille est restée inachevée parce qu’elle n’a pas su remettre en cause le confort de notre indifférence. Le printemps érable est en passe de subir le même sort si les discours ne s’accompagnent pas du cheminement évoqué ici. Qui veut réellement changer la société doit savoir pour quoi et comment le faire. Alors, de l’air pour le Québec moderne!, le printemps revient. Ne reste plus qu’à chacun de nous d’incarner ce changement jusqu’à ce qu’il s’enracine réellement dans un Québec devenu moderne. La révolution civique est la clef du plus grand projet collectif qui soit : la formation d’une nouvelle Cité libre.

Le bilan d’une insipide campagne

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Au terme de ce mois de campagne électorale, on en viendrait à se dire que la soirée électorale en aura été le moment le plus palpitant avec le débat. En fait, il n’y a pas eu de véritable enjeu dans cette campagne. N’en déplaise à Jean Charest, l’économie n’a pas monopolisé le débat, l’affaire de la Caisse des Dépôts n’a pas pris, la crise parlementaire à Ottawa a masqué les débats ici. Alors, à part, peut-être, cette inquiétude récente de voir un nombre record d’électeurs décider de boycotter l’élection, cette campagne a été aussi imprévisible que le reflet du désintérêt des Québécois. 57 % d’abstention! Comment se réjouir d’une victoire après cela?

Jean Charest nous avait prévenus, cette élection serait un moment « tellement important pour nous et pour notre avenir » que les 4 sièges de majorités remportés hier devraient nous permettre d’affronter les difficultés à venir. Alors, que la crise économique s’abatte sur Québec et sa Province!, Jean Charest est prêt à lui faire front avec ses 65 collègues libéraux…

Le pari était risqué début novembre pour lui de déclencher ces élections, les « dissolutions de confort » n’offrant pas toujours les résultats escomptés. Le cas de Stephen Harper le 14 octobre dernier contribue notamment à douter de l’efficacité de cet opportunisme électoral. Mais M. Charest voulait une majorité, il l’a eu en augmentant son adhésion populaire de 9 points et surtout en arrachant 18 nouveaux députés.

MaroisLe Parti québécois ressort la tête de l’eau après les catastrophiques résultats de 2007. Après un début de campagne mou, Pauline Marois est progressivement apparue avec une dimension nouvelle. Nul ne doutait de ses capacités de femme d’État, mais peu lui accordaient le leadership nécessaire à la conduite d’une campagne et, a fortiori, d’un gouvernement. Le surprenant débat des chefs s’est révélé être un formidable exutoire, les 13 jours suivants lui permettant de rattraper un départ qui avait patiné. Souvenons-nous que la chef péquiste avait du proposer un point presse à 5 h du matin pour que les médias puissent assister à sa « marche rapide » journalière et démentir les rumeurs de mauvaise santé voire de maladie grave dont elle faisait l’objet. Finalement, le PQ se retrouve largement renforcé et devient une opposition forte, « la plus forte depuis la Révolution tranquille » a précisé Pauline Marois hier soir.

Mario Dumont, quant à lui, n’a pu hier que constater le prévisible reflux de son parti. En 2007, il avait obtenu près de 31 % des voix à 1,2 % du PLC, ce qui lui avait permis de faire élire 41 députés à l’Assemblée nationale. L’ADQ avait même été envisagée comme premier parti durant la soirée électorale! Las, le parti autonomiste de droite n’a pas réussi à convaincre les électeurs de recevoir la même confiance qu’il avait obtenue en 2007. Les dérapages sur internet ont d’ailleurs été significatifs. Cet échec cinglant (16,4 %, 7 députés) est certainement très dur pour Mario Dmont et son annonce de départ de la vie politique, hier soir, s’est révélé très digne.

Enfin, relevons l’entrée du nouveau Député de Mercier à l’Assemblée nationale, Amir Khadir. Cette fois, le candidat et co-porte-parole de Québec solidaire a remporté son pari et a éliminé le péquiste Daniel Turp. En dépit de la défaite de ce dernier, on ne pourra néanmoins se réjouir de l’entrée d’une voix nouvelle dans l’arène parlementaire québécoise.

« La francophonie est au coeur de nos valeurs »

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Texte publié dans l’édition du 27 novembre 2008 du quotidien français L’Humanité

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Selon l’organisme Statistique Canada, c’est le nombre d’immigrés que le Québec devrait accueillir chaque année pour pallier la baisse ou la stagnation de sa population.
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Le Québec opte pour la préservation de son identité tout en continuant d’accueillir de nouveaux immigrants

Malgré sa politique migratoire forte, le Québec vient de rompre avec le laisser-faire canadien. Le 29 octobre dernier, Mme Yolande James, ministre québécoise de l’Immigration et des Communautés culturelles, a annoncé que les candidats à l’immigration devront désormais signer un document par lequel ils s’engagent à respecter les « valeurs communes » de la province. Parmi celles-ci figurent notamment le fait que « le français est [la] langue officielle » et que « les pouvoirs politiques et religieux sont séparés », la ministre précisant qu’en cas de refus de signer cette déclaration, « la personne ne pourra pas venir ». Cependant, cette déclaration signée n’aurait aucune valeur coercitive : il s’agirait donc d’une simple formalité administrative additionnelle et non pas d’un contrat. Dans ce cas, pourquoi envisager une telle procédure? M. Martin Lemay, député du Parti Québécois et porte-parole en matière de citoyenneté et d’immigration, s’indigne du « manque de sérieux » accordé à ce dossier et constate que l’on ne peut pas, « par contrat, dire que vous allez intégrer un ensemble de valeurs en quelques heures. Ce n’est pas aussi simple que ce que le projet de la ministre nous présente… sans oublier qu’elle ne s’engage à rien en retour ». Favorable à un rééquilibrage des rôles, le parlementaire souverainiste plaide en faveur de l’émergence d’un accord qui poserait noir sur blanc les obligations mutuelles de l’immigrant et de l’État. Ce dernier doit notamment s’engager à mieux organiser ses services d’accueil (dispositifs d’apprentissage de la langue, de reconnaissance des diplômes et des acquis, etc.), « pour que ces gens ne perdent pas 3 ou 4 années de leur vie, car nous n’avons plus les moyens de perdre un talent ».

Si la langue apparaît comme étant l’élément central du dispositif d’intégration, c’est que les Québécois sont convaincus qu’il s’agit du médium à privilégier pour partager leur culture. En ce sens, la nation québécoise repose sur un ensemble de valeurs dont la francophonie est le cœur et le phénomène de globalisation les menace un peu plus chaque jour. Les conséquences sont directes pour les citoyens : il devient par exemple de plus en plus difficile de trouver un emploi unilingue francophone dans les rues de Montréal. Ce combat n’est donc pas d’arrière-garde et constitue une nécessité pour la préservation d’une société canadienne-française en Amérique du Nord.

Aussi, sans rompre avec la tradition d’accueil qui fait la fierté des Québécois, l’ancienne députée du Bloc Québécois, Vivian Barbot, avait déclaré souhaiter voir émerger une politique proactive en faveur de ceux qui choisissent « de se joindre à une nation qui a une histoire, des valeurs, une culture et un désir de vivre ensemble [pour] favoriser l’intégration de tous au sein de la nation québécoise et de préserver un espace neutre et laïc ».

En conséquence, si comparaison il doit y avoir avec les obsessions de Brice Hortefeux, elle ne peut qu’être limitée. À plusieurs reprises, Sarkozy a manifesté ses accointances à l’égard d’un multiculturalisme canadien qui fait la part belle aux communautés. En effet, il serait trompeur de croire en ses bienfaits, car il ne fait qu’entretenir la passivité de l’État. La France n’est pas le Canada, et utiliser ses méthodes en ne prenant pas le fait migratoire à bras le corps est une chose que l’on ne peut plus se permettre. Le multiculturalisme peut paraître séduisant pour les libéraux de tous les pays parce qu’il est par principe assez peu « coûteux » : intégrer une communauté nationale tout en préservant sa culture, sans fournir d’effort à l’égard de sa nouvelle société d’accueil, est assez simple… Mais cet idéal ne résiste pas à l’épreuve des faits. Il débouche inéluctablement sur le communautarisme le plus exacerbé, tout en fragilisant les bases d’un « vivre-ensemble » partagé et transcendant les cultures, croyances et philosophies. En outre, la prétendue politique d’intégration nouvellement mise en place en France ne peut avoir de sens que si elle s’inscrit dans une logique d’acceptation de l’étranger (ce qui n’est pas le cas quand on voit les quotas de reconduite à la frontière), à défaut de quoi elle ne constitue qu’un outil de plus pour jeter l’opprobre sur l’immigrant. La politique « d’immigration » sarkozyste prend donc le problème à rebours.

Au Québec, même si l’objectif de stabilité économique de 300 000 immigrants est souvent contesté, il s’agit avant tout, selon Martin Lemay, de « parler de stratégie plutôt que de niveau. Jean Charest [Premier ministre du Québec] ne nous parle que de chiffres. Plutôt que de niveau nous préférons dire oui à un niveau de francisation plus élevé, oui à une hausse du budget pour suivre les gens qui entrent dans un processus de reconnaissance des acquis, et oui à une politique de régionalisation de l’immigration ».

Il est clair que le modèle d’intégration républicaine par la convergence interculturaliste reste une option politique viable en France et ailleurs. Plus que cela il peut s’ériger en modèle de société laïque ouverte sur un XXIe siècle mondialisé. Contrairement aux ministres français et québécois de l’Immigration, il ne faut pas croire que la charge de l’intégration pèse uniquement sur l’immigrant. De la même manière que la « main invisible » libérale est illusoire, l’intégration ne peut pas être une génération spontanée, encore moins l’œuvre de l’Esprit saint… Elle implique au contraire un effort réciproque d’acceptation de l’autre dans la communauté nationale. Cette dernière doit donc s’impliquer elle-même dans cet effort d’intégration, à commencer par ses institutions, qu’il s’agisse alors d’un État ou d’une Province.

Jean Charest souhaite-t-il une élection sans débat?

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Non content d’imposer une élection provinciale à 83 M$ que nul ne souhaite, le Premier ministre québécois Jean Charest continue de manifester sa désapprobation à l’égard du format que prendra le débat télévisuel des chefs. Pourtant, les équipes adéquistes et péquistes ont d’ores et déjà accepté de se conformer à la proposition formulée par le consortium télévisuel.

Le PLQ est le seul parti à s’opposer à un débat de type « table ronde », tel qu’employé récemment dans le cadre de l’élection fédérale canadienne.

La Presse canadienne précise que des gens de l’entourage du chef libéral Jean Charest ont indiqué que la contre-proposition du PLQ a été présentée mardi en fin d’après-midi et que des représentants du consortium des télédiffuseurs se réuniront à 20 h, mardi soir, afin de l’étudier.

Le PLQ ne fermerait pas la porte au format fédéral, mais tiendrait à ce qu’il puisse y avoir des échanges directs « un contre un » entre les chefs. Du côté des diffuseurs, le porte-parole Denis Pellerin a indiqué que les membres du consortium tiennent à un renouvellement de la formule du débat. Or, on a pu constater que cette nouvelle formule a séduit les téléspectateurs le mois dernier, les télévisions enregistrant des records d’audience pour un tel débat. En tout état de cause, le débat 2008 semble clairement menacé.

M. Charest a déclenché ces élections en prétextant qu’il ne lui était plus possible de conduire une politique lorsque, pour reprendre ses mots, trois paires de mains sont sur le volant et qu’elles ne souhaitent pas aller dans la même direction. Croit-il qu’en ces temps d’incertitude économique il soit de bon ton de lâcher les commandes pour partir en campagne? De surcroît, alors que les deux partis d’opposition avaient formulé officiellement le souhait de ne pas renverser le Gouvernement, le chef libéral s’est entêté dans son arrogante démarche d’élection plébiscitaire. Comment peut-il aujourd’hui se permettre de ne pas assumer les obligations que celles-ci lui imposent, à commencer par débattre de ses projets en toute transparence?

Simple couardise politique ou véritable mépris démocratique? Quitte à souhaiter une élection sans débats, autant demander à être nommé Premier ministre sans prendre la peine de demander avis aux électeurs…

Mario l’imposteur et Jean la girouette

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Depuis plusieurs jours, Mario Dumont, chef de l’opposition officielle à Québec, dénonce la posture très critique du premier ministre Charest à l’égard du Gouvernement de Stephen Harper. En ce sens, il considère que ce positionnement pourrait conduire à favoriser un vote proBloc et ainsi limiter la possibilité de voir le Québec représenté au sein du probable futur cabinet conservateur.

C’est donc sous couvert d’une arithmétique de fossoyeur que Mario Dumont justifie son positionnement politique et idéologique réactionnaire.

Premièrement, avec les expériences pitoyables de Mme Verner et MM. Blackburn, Bernier et Fortier, qui peut encore raisonnablement croire en l’intérêt d’avoir des Ministres québécois paillassons à Ottawa?

De plus, si on regarde avec un minimum d’objectivité le programme de l’Action démocratique du Québec de M. Dumont (qui, quoique souvent variable, reste solidement ancré lui aussi dans un ensemble de valeurs majoritairement conservatrices), il est évident que ce soutien à peine voilé au PCC est surtout naturel avant d’être tactique.

Il est donc normal qu’un grand nombre des troupes de l’ADQ soit engagé actuellement dans la campagne de Stephen Harper. Valeurs familiales passéistes, pseudo-souverainisme mou, discours économiques antisociaux, dureté sécuritariste, etc., sont autant de points de convergence entre le PCC et l’ADQ.

Enfin, si M. Dumont était réellement sincère dans ses projets autonomistes présentés aux citoyens ces dernières années, pourquoi persiste-t-il dans ces critiques à l’égard de Jean Charest et de ses revendications? N’oublions pas que ces dernières font l’objet d’un véritable consensus (elles sont d’ailleurs appuyées et relayées par le Bloc Québécois)… Comment le chef de l’ADQ peut-il encore prétendre défendre le Québec sans reconnaître leur pertinence?

Quant à la posture de Jean Charest, voici un premier ministre québécois qui fait honneur à la citation de l’ancien président français Jacques Chirac : « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent »

Entre ses projets d’ancien chef des progressistes-conservateurs sur la scène fédérale et ses revendications d’actuel premier ministre provincial, il existe un écart aussi épais qu’une veste que l’on aurait retourné. Ses velléités centralisatrices d’autrefois se heurtent clairement à ses prétentions d’aujourd’hui, qu’il s’agisse de son attachement au nouveau au souverainisme culturel ou sa volonté d’asseoir l’aménagement du territoire sur des structures de développement régional.
Cela étant dit, il ne faut pas se méprendre sur ses intentions réelles. Il ne s’agit pas d’un revirement idéologique majeur chez Jean Charest, mais bien d’un positionnement stratégique qui répond à des enjeux conjoncturels. Avec une ADQ qui se décrédibilise toute seule et un PQ qui a du mal à se positionner favorablement en prévision d’une élection provinciale de plus en plus inévitable, les libéraux québécois ont tout intérêt à tirer la couverture nationaliste pour tenter de se placer en tant que force de rassemblement au-delà des clivages.

Cynique? Peut-être. Payant, sûrement.

Un système électoral pervers

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BayletEn 1785, Nicolas de Condorcet publia l’un de ses principaux travaux : l’Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix. Dans cet ouvrage, il explore un paradoxe du système électoral (« le paradoxe de Condorcet ») qu’il décrit comme l’intransitivité possible de la majorité : parmi un même électorat, et lors d’une même élection, il est possible qu’une majorité préfère A à B, qu’une autre majorité préfère B à C, et qu’une troisième majorité préfère C à A. Rien ne permet donc de garantir que l’agrégation de choix individuels rationnels conduise à un choix collectif rationnel. En conséquence, la décision collective prise sur la base de la souveraineté individuelle ne conduit donc pas nécessairement à la situation la plus favorable.

L’une des meilleures illustrations de ce propos réside dans l’élection présidentielle de 2007 : les deux candidats en tête au premier tour (N. Sarkozy et S. Royal) auraient été battus au second tour par le troisième candidat (F. Bayrou).

Le Canada n’est évidemment pas en reste au sujet de son processus électoral. Le système d’élection des parlementaires au scrutin uninominal de circonscription à un tour nous amène aujourd’hui à envisager un gouvernement conservateur majoritaire le 14 octobre prochain. En clair, un parti regroupant sous sa bannière moins de 40 % des suffrages obtiendrait 100 % du pouvoir…

Ici, la division des voix étant forte à gauche et au centre gauche (NPD, Verts, et Libéraux), notamment au Québec où le Bloc est présent, le PCC fait finalement seul la course en tête dans de nombreuses régions. Issu de la fusion de l’Alliance canadienne et du Parti progressiste-conservateur du Canada, le parti conservateur a le monopole exclusif sur toute l’idéologie de droite au Canada.

En plus de ce prisme électoral déformant, le premier ministre conserve le pouvoir de déclencher quand bon lui semble des élections (avec seulement 45 jours de « préavis »). Souvenons-nous, en mai 2006, Stephen Harper expliquait l’intérêt d’adopter une loi sur les élections à date fixe pour empêcher l’utilisation du calendrier électoral pour des avantages partisans… Deux ans après, c’est pourtant ce que Stephen Harper a fait en allant à l’encontre de sa proposition.

Je vous laisse imaginer les avantages que peut tirer le parti au pouvoir de déclencher quand il le souhaite des élections : avantage dans l’organisation sur les autres partis (investiture des candidats, affiches, pancartes, locaux, etc.), avantage quant au financement, et quant à l’opportunité politique déterminée par sondage (quoique la dissolution française de 1997 a montré les limites de ces prévisions).

Sur ce dernier point, il ne faut pas oublier la probable influence des élections étasuniennes. En cas d’élection de Barack Obama, le PCC aurait vu ses chances sérieusement hypothéquées, les partis de la gauche canadienne étant, de leur côté, portés par le courant progressiste venu du Sud. Malheureusement, il y a fort à parier que le premier ministre québécois Jean Charest sera lui aussi sensible à la stratégie politique de l’opportunisme. En cas de victoire des conservateurs, les PLQ et l’ADQ en seront les premiers bénéficiaires sur la scène provinciale, en cas de déclenchement d’élections à l’automne.