Les élections montréalaises et l’illustration d’un cycle politique inédit

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Article publié dans le numéro de janvier de la revue l’Action nationale.

Comme souvent, la dernière campagne montréalaise a débuté sur fond de désintérêt poli, d’autant que la réélection de Denis Coderre semblait évidente. Comme un symbole de cette désaffection, depuis le retrait définitif de Louise Harel en 2013, la sphère péquiste s’était illustrée par un désengagement significatif de l’arène locale. En outre, en extrayant peu à peu Montréal de l’analyse nationaliste, de nombreux militants se sont massivement désinvestis du terrain. On dit que certains en étaient arrivés à considérer que l’élection opposerait les deux faces d’une même pièce. Or, cela serait une affirmation simpliste, car la dernière campagne fournit, a posteriori, des éléments prospectifs riches. Notamment, la cartographie des résultats de cette élection atteste d’une concentration originale des suffrages qui tranche avec le clivage peu ou prou est-ouest des scrutins précédents, au profit d’une répartition nord-sud. De ce chambardement électoral, nous faisons l’hypothèse que Montréal est le théâtre d’un cycle politique nouveau, qui se nourrit de la crise de la représentation populaire et qui s’étend à toutes les démocraties.

Des premiers sondages pour la mairie de Montréal

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Chronique hebdomadaire à La Matinale de CIBL 101,5 Montréal

La firme Léger ayant publié la semaine dernière un premier sondage réalisé auprès de 2013 Montréalais, c’est l’occasion d’analyser les chances de succès des équipes sur la scène municipale.

Le 7 avril 2014, et après ? Affronter les idées, sans affront à l’indépendance

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Entrée libreLettre publiée dans l’édition de juin du mensuel communautaire sherbrookois Entrée Libre

De mai 2011 à avril 2014, le mouvement indépendantiste a connu deux défaites cinglantes. Prises sur le temps long, ces deux résultats tendraient, selon certain, à confirmer le déclassement durable du mouvement indépendantiste. En effet, hormis l’occasion de l’élection de 2012 — à appréhender d’ailleurs dans un contexte extraordinaire de crise sociale — le Parti québécois n’a plus été le parti préféré des Québécois depuis 1994.

Est-ce à dire que l’échec des deux principaux véhicules prétendant au monopole du discours indépendantiste traduit par lui-même l’échec d’un mouvement, de son idée, de l’espoir qu’il entretient ? Certainement pas, car si l’échec discursif autant que stratégique est réel, l’Histoire démontre que bien des mouvements populaires se sont relancés en renouvelant leurs approches.

L’Union, une fin en soi ?

« Unité ! », crient encore certains, comme une incantation divinatoire pour ainsi éviter de penser. Depuis son origine, l’indépendantisme contemporain est pourtant parcouru de deux grandes tendances, progressiste ou conservatrice, que rarement les hiérarques souverainistes ont su authentiquement fédérer. Certains se revendiquent de la première, car la Gauche porteraient en elle la volonté de dépassement de l’ordre établi, volonté découlant elle-même de l’idée que rien ne peut résister aux progrès de l’esprit humain. Les seconds expliqueront leur attachement au projet national sur la base d’autres raisonnements propres à la préservation de l’identité. Ils ne sont probablement pas nécessairement moins valides, mais seraient plutôt complémentaires, puisqu’ils attaquent par leurs raisonnements certains angles morts des discours de gauche.

Cette pluralité d’analyses, quoi qu’il en soit, est souhaitable et, contrairement à ce que laisse penser le paysage politique, ce point de vue est largement partagé parmi bien des indépendantistes de tous bords. Ainsi, contrairement à la fausseté répandue de façon intéressée que Québec solidaire pose des conditions à l’indépendance, on doit enfin accepter de voir dans le parti de gauche la volonté légitime d’inscrire la démarche indépendantiste dans un courant qui rejoindra mieux les aspirations de certains. De la même manière, la nature de l’Action démocratique du Québec, dans ses premières années, correspondait à cette réalité. Cela ne l’a pas empêché de souscrire à la campagne du Oui en 1995.

Vers la reconnaissance d’un mouvement pluriel

Quid, dans ce cas, du Parti québécois né de cette volonté ambitieuse de fédérer les forces indépendantistes dans une seule et même organisation ? Historiquement, la méthode a été privilégiée, notamment en considération du système électoral dans lequel nous évoluons. Ceci étant, cette approche n’est pas indépassable. Étant donné les résultats très nuancés de cette stratégie partisane depuis 1968, il n’est d’ailleurs pas illogique qu’elle soit légitimement remise en cause. Aussi, s’il est clair que le mouvement indépendantiste est pluriel et que cette pluralité constitue une richesse, il faudra bien accepter un jour ou l’autre que, de façon organique, la tendance à sa nucléarisation est inexorable. Il est en fait ridicule de considérer que des votes puissent se diviser ou s’additionner comme des marchandises lors d’un inventaire d’épicerie.

Le choix des électeurs est plus complexe : premièrement, plusieurs études amènent à considérer que leur comportement dans l’isoloir est déjà très fortement conditionné par l’intériorisation du mode de scrutin en vigueur ; deuxièmement, les transferts de voix d’un « tiers parti » au PQ, notamment, ne seraient pas si automatiques et l’on pourrait supposer qu’à défaut de formation qui leur correspond, beaucoup d’électeurs s’abstiendraient. En bref, la politique est une des rares situations ou 1+1 ne fait pas nécessairement 2.

En outre, indépendamment de ce que l’on peut penser des idées développées par QS et ON, ces partis apportent beaucoup au civisme et à la cause de l’indépendance en mobilisant une masse importante de la population, parfois en marge du jeu politique dominant, tout en compliquant à leur corps défendant la représentation d’une certaine option indépendantiste en chambre. Le défi actuel consiste donc à mettre en place une organisation qui multipliera leurs efforts sincères de pédagogie, de persuasion et de renouvèlement au profit du rassemblement. Pour y répondre, certains parlent de primaires ou encore de contrats de gouvernement.

Quoi qu’il en soit, c’est une lapalissade d’affirmer que les résultats du 7 avril dernier n’ont pu contenter aucun souverainiste. Les raisons de cette insatisfaction sont certainement diverses, mais la déception est bien partagée. Du fait des accusations de division du vote ou de culpabilisation de l’électorat, des rancœurs en sont même probablement nées, peut-être durablement. Aussi, si l’on souhaite en tirer des leçons et resserrer les rangs pour converger vers notre objectif commun, il faut que le PQ, QS et ON agissent rapidement en faisant l’effort de dépasser ces résultats qui ne sont que le produit négatif d’une conception archaïque du jeu électoral et non le seul fait de la mauvaise foi de l’un ou de l’autre. La prochaine fois pourrait être pour très bientôt si tant est que l’on crée enfin collectivement les conditions de la collaboration plutôt que de cultiver les prés carrés : résolument, l’indépendance doit prendre la voie de la convergence dans le respect de sa diversité.

De la prétendue exclusion laïque à la laïcité dévoyée de l’extrême droite, un langage de sourds entre le PQ et QS

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Depuis plusieurs heures, le Parti québécois s’attelle à dénoncer la comparaison d’avec le Front national que le co-porte-parole de Québec solidaire, M. Andrés Fontecilla, aurait fait de celui-ci. Puisque le PQ ne prend pas la peine de citer l’extrait incriminé, pas plus que les militants qui relaient le communiqué de presse, le voici :

« J’aimerais seulement faire remarquer que la France est loin d’être un exemple d’intégration. Les problèmes entre les communautés sont exacerbés par ces législations-là et je voudrais faire remarquer à M. Drainville que le thème de la laïcité a été approprié par la droite française et même l’extrême droite, M. Sarkozy et Mme Marine Le Pen. »

La fausse laïcité du vrai racisme : le nouvel argumentaire de l’extrême droite française

Déduire de ces deux phrases un rapprochement du PQ et du FN, cela semble bien excessif. Toutefois, force est de constater que M. Andrés Fontecilla a partiellement raison quant à la deuxième partie de son raisonnement. N’en déplaise aux républicains français de tous bords (car la république laïque est autant de droite que de gauche), l’extrême droite aurait réussi à se faire passer pour la championne de la laïcité aux yeux des médias; mais les gesticulations de Mme Le Pen ne trompent personne. Sa croisade n’est que le nouvel avatar de cette obsession à l’égard de la différence qui confine à la maladie mentale : hier, la haine des juifs, des francs-maçons ou des socialistes, aujourd’hui, des Roms, des immigrés d’origine maghrébine, de l’Islam… et probablement encore un peu des autres.

Or, la relative paranoïa qui se développe à l’égard d’un quelconque complot musulman au Québec comporte parfois des parallèles avec l’instrumentalisation extrême droitière faite en France de ce qu’elle nomme laïcité. Et puis, sans même revenir aux discussions récentes sur la Charte des valeurs, souvenons-nous du débat sur la viande halal en mars 2012 engagé par le PQ. Comment ne pas comprendre que certains aient pu alors imaginer que le Parti québécois ait osé une récupération, même maladroite, de ce même débat lancé avec tambours et fracas par Mme Le Pen, moins d’un mois avant, qui expliquait vouloir « montrer aux Français qu’ils sont méprisés dans leur propre pays »? C’est peut-être injuste ou réducteur, mais quelques ambiguïtés comme le cas récent du candidat péquiste résigné Jean Carrière n’ont pas aidé à clarifier les choses.

Ceci étant, entre les détestables excès de quelques-uns et la ligne gouvernementale, il y a un gouffre tel qu’il nous semble encore loin d’être surmontable.

Une laïcité source de cohésion plutôt que d’exclusion

Ceci étant dit, à nos yeux, le lien que dresse M. Andrés Fontecilla entre lois sur la laïcité et intégration nous semble plutôt hasardeux et témoigne d’un manque de compréhension de la réalité outre-Atlantique. Le problème dit d’intégration est avant tout d’origine économique, c’est cela qui est à la source du délitement du lien social.

Avec la disparition de la socialisation par l’écosystème du travail (usines, syndicats, partis, fédérations sportives laïques, etc.) qui rayonnait jusque dans le quotidien des citoyens et contribuait au raffermissement des liens et palliait parfois les services publics insuffisants, les effets de la crise actuelle n’en sont que décuplés. Et on retrouve de nouveau notre Mme Le Pen, toujours prête à rejeter la faute sur les autres, expliquer une fois encore que les immigrés sont la cause de tous les maux. Bref, voir dans les problèmes des « banlieues » françaises un problème lié à un héritage laïque séculaire et dont les racines remontent bien avant 1905, c’est certainement caricatural et ne contribue pas à favoriser un débat intelligible. Non parfois sans accrocs, depuis Nicolas de Condorcet, la conception française de la laïcité s’inscrit dans la tradition exigeante et universaliste de l’égalité entre les citoyens, aux antipodes de la détestation de l’autre.

Il est toujours désolant, surtout en période électorale, de voir des leaders brillants se fourvoyer dans quelques raccourcis et sophismes pour céder au risqué « sens de la formule ». Tandis que l’on souhaitera que le Parti québécois évite de jouer maladroitement avec le feu et voit des enflures verbales où il n’y en a pas, on saura gré à Andrés Fontecilla d’éviter de jouer de raisonnements à l’emporte-pièce.

L’échec du rassemblement national par le mythe du Centre plutôt que par la seule indépendance

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Le billet a été édité le 10 mars 2014

Lettre publiée dans sa version raccourcie dans l’édition du 12 mars 2014 du quotidien Le Devoir

Comme pour des milliers d’individus immigrants et nouvellement citoyens, j’aurai l’honneur d’exercer pour la première fois mon devoir de citoyen à l’occasion du scrutin du 7 avril prochain.

Depuis mes premières semaines ici, en 2006, je porte dans mon coeur le projet indépendantiste. Quoi que certains veuillent faire croire que les nouveaux arrivants sont plus frileux sur la question nationale, je crois au contraire que beaucoup d’entre eux y sont bien plus disposés qu’on ne le pense. La raison en est simple : la normalité d’appartenir à un État souverain, nous la connaissons, de même que la possibilité d’être fier de sa Nation, lors d’une compétition ou d’événements rassembleurs notamment, sans à devoir supporter les Cassandres qui accusent de tout politiser. L’indépendance pour moi, comme pour beaucoup de mes nouveaux concitoyens donc, elle est nécessaire, urgente et réalisable.

Indépendantistes : ni ennemis à droite, ni adversaires à gauche

Un rassemblement de Cap sur l’indépendance avec, notamment, Françoise David, Bernard Landry, Vivian Barbot, Pauline Marois et Daniel Paillé — Photo Le Devoir

Je suis un homme de Gauche, aussi. C’est d’ailleurs selon moi, un corollaire logique de mon indépendantisme — les deux étant intimement liés, se nourrissant l’un et l’autre —, la Gauche portant en elle la volonté de dépassement de l’ordre établi, volonté procédant elle-même de l’idée que rien ne peut résister, pas même les plus grands défis, aux progrès de l’esprit humain, lorsque particulièrement mû par des projets collectifs.

D’autres expliqueront leur attachement au projet national sur la base d’autres raisonnements. Ils ne sont à mes yeux pas moins valides; au contraire, ils tout aussi louables, car complémentaires, puisqu’ils attaquent par leurs raisonnements certains angles morts des discours de gauche.

Cette pluralité d’analyses est souhaitable et ce point de vue est largement partagé parmi les indépendantistes de tous bords. Ainsi, contrairement à la fausseté répandue de façon intéressée que Québec solidaire pose des conditions à l’indépendance, on doit enfin accepter de voir dans le parti de gauche la volonté d’inscrire une démarche dans un courant qui rejoindra mieux certains courants de pensée. La nature même de l’Action démocratique du Québec, dans ses premières années, correspondait à cette réalité. Cela ne l’a pas empêché de souscrire à la campagne du Oui en 1995.

Aussi, s’il est clair que le mouvement indépendantiste est pluriel et que cette pluralité constitue une richesse, il faudra bien accepter un jour ou l’autre que, de façon organique, la tendance à sa nucléarisation semble inexorable.

La dislocation programmée du bloc souverainiste

Dans l’absolu donc, qu’un grand chef d’entreprise québécoise se rallie ouvertement au projet indépendantiste n’est pas de nature à heurter mes convictions. Et, oserai-je même, ce genre de ralliement me semblerait à même de renforcer notre projet collectif si toutefois le Parti québécois tenait un discours clair et disposait d’une stratégie rassembleuse autour de l’indépendance. Refuser de « faire de la politique ouverte » et se contenter de s’en remettre à la nébuleuse rédaction d’un « livre blanc », c’est demander au peuple de faire aveuglément confiance à ses dirigeants. D’ailleurs, parler de « prérogative » ministérielle tel un pouvoir régalien médiéval, comme l’a fait Mme la Première ministre Marois, cela dénote une bien mauvaise compréhension de cet élan inexorable et universel de démocratisation participative.

Ajoutons à cela que ledit entrepreneur est à l’origine de conflits sociaux parmi les plus médiatisés qu’ait connus le Québec de ces dernières années. Bref, il n’est pas besoin d’être grand devin pour comprendre que cela puisse facilement paraître pour un bras d’honneur à ceux des progressistes-indépendantistes fatigués d’avoir trop longtemps contorsionné leurs convictions au profit d’un parti de coalition qui n’assume plus qu’à demi-mot son essence.

Le Parti québécois est né de cette volonté ambitieuse de fédérer les forces indépendantistes dans une seule et même organisation. Historiquement, cela a été privilégié, notamment considérant le système électoral inique dans lequel nous évoluons. Ceci étant, cette approche n’est pas indépassable. Étant donné les résultats très nuancés de cette stratégie partisane depuis 1968, il n’est pas illogique qu’elle soit légitimement remise en cause.

Rassembler, c’est une responsabilité

Et si M. Péladeau rappelait ce matin les mots de M. le Premier Ministre Landry, « ni à droite, ni à gauche, devant! », il revient au seul Parti québécois de faire la démonstration claire que l’indépendance est effectivement devant nous, sans les atermoiements brumeux dont la première semaine de campagne nous a encore abreuvés, de la formule du « premier mandat, dans le deuxième, dans le troisième », au fameux « en temps et lieu ». Autant la profession de foi indépendantiste de M. Péladeau peut être saluée, autant la démarche opaque privilégiée par les officines péquistes doit être condamnée.

Ce n’est pas en se déclarant être le lieu de rassemblement du mouvement souverainiste qu’on le devient de facto. Regrouper des gens qui se disent de droite ou de gauche ne le permet guère plus; tout au plus, cela démontre une certaine capacité de conciliation. Rassembler les indépendantistes, cela ne peut se faire qu’en assumant pleinement le seul dessein qui les unit : la souveraineté du Québec.

Qu’on le veuille ou non, d’ici à ce que le flambeau de l’indépendance soit repris dans un élan d’unité nationale, la démarche embarrassée qui préside au PQ depuis 2007, confirmée par cette première semaine de campagne, n’en finit plus de valider les démarches de Québec solidaire et d’Option nationale.

De l’étoffe d’un Premier ministre

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Extrait de la Une de l'édition du 24 août 2012 du quotidien La Presse

Extrait de la Une de l’édition du 24 août 2012 du quotidien La Presse

M. Legault, dans une entrevue à La Presse déclarait, vouloir « remplacer ceux qui ne pensent pas comme [eux] », s’il devient Premier ministre. Je ne pense sincèrement pas qu’il faille crier au péril totalitaire comme d’autres ont pu le faire sur le coup de l’émotion, mais cette formule confirme manifestement l’absence totale du sens de l’État de son auteur.

En attaquant ainsi l’Administration publique dans son ensemble, et non plus seulement ses fonctionnaires en tant qu’individus ou leurs groupements, M. Legault met ainsi à mal l’un des fondements de l’État de droit qui est le principe de « continuité de l’État ».

Nous pourrions aussi nous étendre sur le potentiel d’arbitraire dans la décision que la déclaration implique, et donc de rupture d’égalité des citoyens devant la loi, et, surtout sur ce déséquilibre institutionnel grandissant au profit de l’exécutif, véritable tumeur dans notre régime archaïque de quasi-confusion des pouvoirs au profit du Chef du gouvernement.

En bref, indépendamment des convictions de M. Legault que je ne partage guère et de ses qualités personnelles de gestionnaire et d’entrepreneur, on ne peut que regretter la présence de plus en plus envahissante de cette prétendue approche managériale froide et dangereuse pour la stabilité de nos institutions.

Bien sûr, il est nécessaire que l’État fasse son aggiornamento avec notamment un constant recours à une pratique évaluative juste et rigoureuse, mais pas au mépris des règles fondamentales qui transcendent les courants philosophiques et assurent ainsi que les règles du jeu démocratique sont unanimement partagées. C’est cela avoir le sens de la République. C’est cela être serviteur de l’État. C’est cela être un grand Premier ministre.

Une décision qui trouble dangereusement le jeu démocratique

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Exclusions des débats de chefs

Cet article, publié initialement le 3 août, a été modifié suite à la décision de la Cour supérieure le 17 août.
Cette version est disponible sur le site du quotidien La Presse.

La Cour supérieure du Québec a finalement décidé, ce vendredi, de suivre le raisonnement proposé il y a deux semaines, par le Directeur général des élections, qui rendait un avis pour le moins surprenant au sujet de l’exclusion de certaines formations politiques des débats organisés par les télédiffuseurs. Je dis surprenant, pas tant sur la forme puisque les garants de la Loi électorale nous ont habitués à faire preuve de bien peu de zèle en ayant une appréciation minimaliste, pour ne pas dire étriquée, de leur rôle, mais plutôt sur le fond, car cet avis ne tient pas la route une seule seconde. Trois éléments nous permettent de réfuter une argumentation plus que bancale qui revient à vider de sa substance l’article 423 de la Loi électorale. Rappelons que cet article oblige théoriquement les médias, en période électorale, à faire preuve d’équité à l’égard de tous les chefs de partis représentés à l’Assemblée nationale ou qui ont recueillis au moins 3 % des suffrages au précédent scrutin.
En effet, tant le DGEQ que la cour n’assimilent pas les débats à du temps d’antenne gratuit parce qu’il « comporte des règles déterminées par les médias qui l’organisent [et au cours duquel les représentants des partis] n’ont pas la liberté de faire ce qu’ils veulent du “temps d’antenne” ». Ce raisonnement est en parfaite concordance avec la décision rendue en 1994 par la Cour d’appel qui avait rejeté alors une requête du même ordre de Mario Dumont : « le débat n’est pas laissé à l’initiative des partis ou de leur chef politique, mais imaginé, élaboré et organisé par le diffuseur, selon un scénario précis où chaque participant est tenu de répondre à des questions formulées par les journalistes et où l’initiative est prise par ceux-ci et non laissée à ceux qui se prêtent à cet exercice médiatique ». Cette prétendue absence de marge de manœuvre des organisations politiques confèrerait donc le statut de simple émission d’affaire publique à l’un des moments les plus suivis d’une campagne. Or, c’est bien mal connaître l’organisation de tels débats que de croire que les règles sont imposées aux débatteurs. Il est même de notoriété publique que celles-ci sont âprement négociées en amont par des hordes d’avocats et de stratèges en communication et, ce, depuis des décennies. Le premier débat télévisuel du 11 novembre 1962 avait lui-même été au centre de telles discussions entre les équipes de Jean Lesage et Daniel Johnson.
Nous pouvons ensuite noter que la situation de 1994 de M. Dumont ne peut être assimilée pleinement à celle vécue par Option nationale et Québec solidaire. En effet, ces deux partis se voient déjà représentés à l’Assemblée nationale par leur Chef ou l’un de leurs co-porte-parole. Or, ce n’est pas le cas de M. Legault qui, en plus, ne peut non plus se targuer d’être à la tête d’une formation présente à la précédente élection. Cette iniquité apparente ne fait donc que renforcer le sentiment de parti pris et de mépris du cadre légal.
Enfin vient la question du bon sens attaqué. La loi électorale étant tellement interprétée a minima que celle-ci, peu à peu, en perd son esprit. Souvenons-nous qu’il y a quelques mois, le DGEQ se déclarait incompétent à étudier les contributions de la « pré-CAQ » version OSBL, puisqu’elle n’était pas un parti politique reconnu. Pourtant, en vertu de la Loi électorale, on pouvait légitimement soupçonner que cette dernière faisait la promotion du parti à venir avec des contributions exceptionnellement généreuses de citoyens. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en suivant ce raisonnement rigoriste et pusillanime à la situation qui nous occupe ici, les débats en période électorale pourraient aisément être inéquitables « qualitativement et quantitativement », sans même que cela puisse être remis en cause par les garants de la Loi électorale du Québec et de la Loi sur la consultation populaire.
Nous ne pouvons évidemment que regretter cet ensemble de décisions qui dénotent une certaine complaisance vis-à-vis de la hiérarchisation faite, probablement de bonne foi, entre les formations politiques. En effet, cette hiérarchisation revient souvent à condamner certaines d’entre elles au silence. Il est d’autant plus dommageable qu’en agissant de la sorte, les groupes télévisuels les confinent finalement à un rôle d’arrière-plan avant même que les citoyens aient pu se prononcer et contribuent par la même à brouiller le jeu électoral. Comment réagiront notamment les milliers de jeunes qui appuient Option nationale et Québec solidaire, principales victimes de ces décisions? Ne sommes-nous pas là en train d’alimenter le cynisme en tournant les coins ronds? Qu’il s’agisse des élections à date fixe ou de l’encadrement des temps d’antenne en période électorale, en passant par un scrutin plus respectueux de la diversité des opinions, il est grand temps de dépoussiérer le jeu démocratique québécois.

Les bœufs sont lents mais la terre est patiente

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Il y a quelque chose d’original d’avoir l’ambition de redonner la vie à ce blogue quand il s’agit de livrer une analyse sur le sort réservé au Bloc québécois aux élections du 2 mai dernier. Cet exercice est personnel et je n’ai pas l’ambition de prétendre savoir lire dans le marc de café ou dans le foie des volailles…

Rendons à César ce qui appartient… à Harper

N’en doutons pas, le grand succès du premier ministre Harper ne réside pas que dans l’obtention d’une Chambre des communes majoritaire. C’est une fin qui n’aurait pu être espérée sans un travail de longue haleine de l’équipe conservatrice : en poussant la polarisation des débats à leur maximum, Stephen Harper vient de mettre un point d’arrêt à cette idée selon laquelle le Canada se gouverne au centre, dans le plus grand consensualisme. Les exemples sont nombreux et il est inutile de revenir sur les cas où le Gouvernement Harper a joué d’un certain esprit de provocation pour cristalliser le débat autour de lignes idéologiques claires.

Victime collatérale logique, le « parti de gouvernement naturel du Canada » qu’était le Parti libéral du Canada n’est plus que l’ombre de lui-même. Le remplacement de Stéphane Dion par Michael Ignatieff n’aura donc rien changé au lent déclin au parti de Wilfrid Laurier : qu’il s’agisse de fidélité électorale de certaines communautés, du bastion torontois ou de la forteresse des provinces de l’Atlantique, les libéraux n’ont pu contenir la marée bleue inexorablement montante depuis 2006. Parmi les signes avant-coureurs de ce phénomène, le journaliste Martin Croteau décrivait, peu de jours avant le vote, comment l’électorat juif torontois se distançait peu à peu de ses vieilles habitudes en appuyant de plus en plus massivement les conservateurs.

Les deux mandats minoritaires de Stephen Harper ont démontré que le Canada pouvait se gouverner à droite. Et pour s’opposer à une vraie droite, rien ne vaut une bonne gauche, plutôt qu’un centre prêt à tendre l’autre joue.

La liquidation de la question nationale?

Le Bloc se retrouve donc avec quatre députés à la Chambre. Le résultat a été sévère et souvent injuste pour ceux qui ont perdu : pensons à la qualité du travail réalisé par des députés comme Pierre Paquette, Bernard Bigras ou le prometteur Thierry Saint-Cyr. Surtout, ayons une pensée pour Gilles Duceppe dont le score est une véritable insulte pour le travail accompli ces 20 dernières années. Cette éviction ne fait pas honneur à la carrière de ce grand politicien. Dans une situation plus flatteuse qu’un René Lévesque autrement plus détesté par ses concitoyens à la fin de son second mandat de premier ministre, l’Histoire saura rapidement retenir son nom aux côtés d’autres grands défenseurs de la Nation québécoise.

Malgré cette lourde défaite, je crois qu’il serait faux de croire en la fin de l’option souverainiste. On ne peut tirer un trait sur plus de 50 ans de militantisme au prétexte d’une désastreuse journée qui marque plutôt l’avènement incontestable de l’électeur consommateur.

Sauf que… dans ce contexte de « binarisation », des positions, de choc des idéologies, qu’elle pouvait être la place du Bloc québécois? Pourquoi envoyer un parti souverainiste à Ottawa quand l’idée est portée difficilement au Québec? Le Bloc québécois est un parti dont le cœur bat à gauche, modérément certes, mais à la pensée sociale-démocrate bien équilibrée en vue de répondre à la difficile exigence de représenter la Nation québécoise dans toute sa diversité. Mathieu Bock-Côté, dont j’avoue partager parfois les diagnostics, mais guère les réponses, prétendait même que le bloc « a instrumentalisé le nationalisme québécois pour le mettre au service des valeurs progressistes renommées “valeurs québécoises” bien difficiles à distinguer des valeurs de la gauche canadienne »… Je juge cette affirmation bien excessive quand on sait les convictions du monsieur, mais elle a le mérite de poser la question simplement : face au risque que représente une droite morale néoconservatrice et néolibérale, les citoyens québécois ont préféré s’en remettre à un parti ouvertement à gauche. Dans le doute, on préférera toujours choisir l’originale à la copie.

Pour autant, cet échec patent du Bloc doit-il être compris comme une mise au rencart de la souveraineté? Évidemment, non. Pourquoi? D’une part, parce qu’en dépit de la modeste représentation dont il disposera à Ottawa, le Bloc a tout de même réuni près du quart des voix des électeurs québécois. La grande volatilité de l’électorat dans les deux dernières semaines précédant l’élection a mis à plat ventre le parti souverainiste à qui l’on accordait encore une éclatante victoire peu de temps avant. Souvenons-nous que même Québec pouvait être regagné par le Bloc à l’occasion de cette élection. D’autre part, le sondage Léger Marketing/Le Devoir du 16 avril dernier, donc deux semaines avant le scrutin du 2 mai, indique un niveau d’appui de 43 % à la souveraineté si un référendum « avait lieu aujourd’hui » (page 11). Il faut donc en déduire que le changement de stratégie du Bloc québécois dans la dernière étape, en orientant son discours vers le cœur de l’électorat souverainiste (notamment avec l’entrée en scène de M. Jacques Parizeau), n’a pas réussi. C’est donc une évidence que de dire que le Nouveau parti démocratique a su capter une très large frange du vote indépendantiste.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, la batterie de sondage réalisée conjointement par le Bloc et les Intellectuels pour la souveraineté il y a presque 1 an, à l’occasion des 20 ans de l’existence du parti, démontrait très clairement que les Québécois croyaient en leur capacité de faire de notre Province un Pays et en la viabilité de celui-ci, mais seuls 45 % d’entre eux affirmaient que la souveraineté est réalisable. Il en résulte, dès lors, que 82 % des Québécois préféraient vouloir s’ouvrir une ronde de négociations pour entente constitutionnelle satisfaisant le Québec.

En élisant une large majorité de députés néo-démocrates, les Québécois ont tenté de renouveler leur stratégie d’affirmation nationale, celle-là même que les partis du Québec peinent actuellement à redéfinir. La responsabilité qui pèse sur les épaules du NPD est donc très grande d’autant que les Québécois continuent de montrer leur attachement aux minimales conditions de l’Accord du lac Meech. Dans le cas d’une nouvelle ronde de négociations, celles-ci constitueraient un socle non négociable. En prétendant vouloir réintégrer le Québec dans la Constitution, Jack Layton a créé de grands espoirs qu’il ne pourra décevoir.

Et demain?

En dépit de mon indépendantisme, en tant qu’homme de gauche, je ne peux que regarder avec un brin de sympathie cette percée majeure du NPD. Bien sûr, ce dernier est centralisateur; bien sûr, le profil de certains de ses nouveaux élus peut laisser perplexe; bien sûr, finalement, mon vote irait quoiqu’il arrive au Bloc… Cependant, à l’aube d’une législature qui sera certainement longue, nous n’avons d’autre choix que de prendre notre mal en patience et de laisser le bénéfice du doute aux députés du caucus québécois. La Démocratie a parlé, à nous, Citoyens, d’être vigilants pour l’avenir.

Les possibles scénarios pour demain sont extrêmement nombreux, et l’histoire nous a montré que la politique canadienne peut aussi être très vicieuse : la nuit des longs couteaux du 6 au 7 novembre 1981 et le rapatriement unilatéral de la Constitution l’attestent allègrement. Imaginons le cas où le Gouvernement conservateur de Stephen Harper proposerait une entente a minima au Québec pour le réintégrer en tant que Province dans la Constitution. Sans « chien de garde » bloquiste à Ottawa, pour reprendre l’expression de M. Jacques Parizeau, et tant que les libéraux de Jean Charest seront majoritaires à Québec, une telle stratégie mènerait à une cruelle perte de sens du camp souverainiste. Les fédéralistes provinciaux et fédéraux, en s’entendant sur un accord du Lac Meech II, éloigneraient résolument les « souverainistes mous » de l’idée d’indépendance. Stephen Harper pourrait donc s’enorgueillir d’avoir recomposé la politique canadienne sur un fort axe gauche-droite tout en se débarrassant de la question nationale québécoise. À cet égard, il apparaît donc d’autant plus aberrant d’évoquer la mort du Bloc et c’est justement dans cette configuration qu’il pourrait retrouver toute sa pertinence. Le Bloc québécois a un genou à terre, mais il reste le meilleur outil pour protéger les intérêts des Québécois.

En fait, le Québec vit en ce moment une période politique extraordinaire, une sorte de crise où tout devient d’une incroyable labilité et où tout redevient possible. Pour reprendre encore Gramsci, « la crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». Le Canada tel que nous le connaissons ne pouvait éternellement vivre dans cette schizophrénie politique, sans connaître quelques soubresauts. Le Québec, a contrario, ne pouvait rester dans le rôle de l’éternel adolescent; il est aujourd’hui face à un choix plus clair que jamais : s’émanciper ou se banaliser dramatiquement dans le Canada. Les élections provinciales seront le prochain grand rendez-vous : retroussons nos manches! Comme le disait Falardeau, « les bœufs sont lents, mais la terre est patiente »…