De quoi Syriza est-il le nom?

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Syriza, c’est plus que le nouveau nom de l’extrême gauche : les confusions de termes empêchent de voir les événements en Grèce comme ce qu’ils sont : le début de quelque chose

De la « Gauche radicale » à l’« extrême gauche », en passant par « l’ultragauche » ou « l’héritage communiste », tous les poncifs de la guerre froide ont été ressortis par les analystes pour commenter la nette victoire de Syriza aux élections grecques de dimanche. Dans cette confusion, certains ce sont démarqués en ayant même osé renvoyer dos-à-dos « les extrêmes », comme si le groupuscule néonazi de l’Aube dorée et ces succédanés de l’extrême droite européenne pouvaient être comparés à la coalition victorieuse de la gauche grecque et à ces partis frères qui, de tout le vieux continent, s’en réclament. Ces amalgames, aussi peu renseignés que boiteux, sont surtout dangereux, car ils perpétuent le triste sentiment d’intangible dans le politique.

Alors, plutôt que d’ânonner ces mêmes commentaires, revenons sur quelques les propositions de Syriza : passage du salaire minimum de 600 à 750 €, 13e mois de retraite pour les retraites inférieures à 700 €, protection des habitations principales des saisies, accès gratuit aux soins, lutte, contre la fraude fiscale et la contrebande, réaffectation des fonds européens, etc. Est-ce là le produit des réflexions d’un cryptostalinien échevelé? Bien sûr que non. D’ailleurs, l’esprit qui préside à ces ambitions était au coeur du programme de bien des sociodémocrates et sociolibéraux d’avant les années 80 et leur virage reagano-thatchérien. Au risque de l’anachronisme, le programme des libéraux de 1960, emmenés par Jean Lesage, relevait du même paradigme d’un interventionnisme pragmatique de l’État.

Certes, il reste le cas particulier de la dette grecque, qui, nous dit-on, serait le fruit d’une longue tradition de laxisme, un phénomène presque endogène, pour certains. On nous parle donc d’un pays noyé sous une dette abyssale qui paie les pots cassés de son laisser-aller. Il reste que si cette dette approche les 175 % du PIB, elle n’était que de 105 % au début de la crise de 2008, avant la litanie de mesures « austéritaires ». Pour l’anecdote, 105 % du PIB c’était d’ailleurs, à peu de chose près, le poids de la dette états-unienne fin 2014… Quoi qu’il en soit, l’histoire nous démontre qu’il est impossible de rembourser des dettes sur la base d’économies atones. C’est d’ailleurs ce que plaidait lundi matin le médiatique économiste Thomas Piketty à la radio française en rappelant que dans une telle situation, « il fau[drait] 50 ans, 60 ans pour rembourser 200 % du PIB. » À l’inverse, les pays qui ont connu de tels taux d’endettement (pensons à l’Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale) ont pu compter sur des politiques de relance de l’activité et des restructurations de leurs dettes.

Alors s’il est certainement aisé de répéter le discours fataliste ambiant et de céder au déclinisme des sinistres augures, cela ne doit pas empêcher de regarder les choses objectivement et d’accompagner l’espoir avec bienveillance, car, aujourd’hui plus qu’hier, tout est à inventer. En constatant cet élan populaire qui a porté Syriza aux responsabilités et qui pousse les Espagnols de Podemos vers autant de succès, nous devons connaître le vieux monde pour mieux en abandonner ses mots et articuler demain. Il le faut aussi, peut-être, pour nous rappeler comme le Printemps érable n’a su être transfiguré au sein d’un système politique québécois corseté dans son expression. Il faut qu’avec cette formidable formule de García Márquez, prix Nobel de littérature décédé récemment, nous avancions confiant dans la voie de cette projection dépouillée du poids des erreurs du passé : « le monde était si récent que la plupart des objets n’avaient pas de nom et pour les désigner il fallait les montrer du doigt ».

Les Britanno-colombiens en goguette de l’Écosse

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Tandis que le peuple écossais est aujourd’hui appelé aux urnes pour déterminer, par voie de référendum, son avenir, il est regrettable que certains confondent la sympathie que l’on doit avoir pour un exercice démocratique avec un genre de projection morbide qui revient à vivre par procuration une démarche que l’on ne réussit pas à faire renaître au Québec. Cela est d’autant plus troublant pour ces pèlerins, acteurs politiques québécois de première ligne, eux-mêmes difficilement épargnables quant au doute qui nous habite. Bien sûr, il ne faut pas tout mélanger et apprécions à leur juste valeur ces initiatives individuelles épanouissantes que l’on découvre chaque jour dans les médias sociaux.

Que l’on salue le choix des Écossais de s’interroger collectivement sur leur avenir, en étudiant le phénomène scrupuleusement pour en tirer des enseignements, c’est méthodologiquement louable. Par contre, si l’on projette dans ce référendum nos propres névroses c’est, au mieux, simpliste, au pire, c’est de l’ingérence malsaine.

En plongeant dans la question nationale écossaise, souhaitons aux électeurs un choix transparent et volontaire, mais, de grâce, ne reproduisons pas ce que nous abhorrions hier : nous ne sommes pas plus légitimes à nous prononcer ici que ne l’étaient les Britanno-Colombiens lors du Love-in de 1995.

Il faut rendre l’Europe aux peuples!

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Texte publié dans le numéro de septembre 2009 de la revue L’Action nationale

Sans grande surprise, à peine plus de deux citoyens européens sur cinq se sont finalement rendus aux urnes en fin de semaine dernière pour désigner leurs députés au Parlement de Strasbourg. Cette élection, en plus d’avoir suscité l’indifférence générale, comme le présageait justement Serge Truffaut dans son éditorial du 19 mai, a par ailleurs permis de conforter la majorité européenne de droite. Cette poignée de résultats, somme toute assez peu reluisants pour les quelques partisans d’une Europe résolument tournée vers le progrès social, vient mettre un terme à un cycle d’occasions manquées de relance de l’U.E..

Alors que, depuis le dernier renouvellement de 2004, les événements s’étaient accélérés dans le processus de construction européenne, on a finalement assisté au freinage de l’intégration. Tout d’abord, le rejet du Traité constitutionnel européen (TCE) par les référendums français et néerlandais de 2005 a révélé une fracture qui continue de paraître systématiquement indépassable chez les électeurs. Pis, cet événement a fait voler en éclat les clivages traditionnels et il continue de paraître infranchissable au sein même des partis politiques. À ce titre, les piètres résultats du Parti socialiste français (seulement 16 % des votes) reflètent sans nul doute le peu de crédibilité que ce mouvement peut encore avoir sur le sujet, tant les rabibochages récents n’ont pu cacher les incohérences idéologiques issues des divisions passées.

Enfin, plus récemment, le refus du Traité de Lisbonne par les citoyens irlandais est venu sanctionner un texte dont la plus-value institutionnelle était toute relative par rapport au TCE qu’il était censé remplacer.
Bien sûr, on pourra dire que le référendum reste méthodologiquement imparfait, à commencer par le caractère binaire d’un choix qui traduit difficilement la complexité des opinions surtout quand elles s’expriment sur un texte aussi long qu’inaccessible. Il ne s’agissait pas ici de s’exprimer sur l’Europe, mais sur un texte complexe et à la valeur juridique et philosophique tout à fait inégale. Les camps du Oui et du Non ont été des agrégats protéiformes que l’on ne peut que difficilement décrypter tant les messages envoyés furent divergents voire mal éclairés : selon l’institut de sondage CSA, seuls 10 % des répondants français avaient effectivement lu l’intégralité du traité et 39 % n’en avaient lu que quelques extraits.

Si le choix de rapprocher la construction européenne des citoyens était on ne peut plus souhaitable, garder la tradition technocratique qui avait prédominé pendant des décennies vouait naturellement cette étape à l’échec.

En finir avec les erreurs du passé

Il est vrai que l’Europe s’est construite sur les cendres des ressentiments entre peuples et, sans quelques décideurs qui se sont permis d’aller au-delà de ce que souhaitaient les citoyens, elle ne serait certainement jamais née si rapidement.

Cependant, la méthode du multilatéralisme a montré ses limites : c’est par la juxtaposition de Traités et autres Accords, que l’Union européenne a grossi au point de devenir ce Léviathan que décrivait Hobbes. Certes, l’U.E. assure la quiétude à ses citoyens, car, effectivement, elle les a préservés de tout conflit armé interne depuis plus de 60 ans, mais peut-on encore se satisfaire de la confiscation progressive de la souveraineté populaire sous prétexte qu’elle est juridiquement valide et qu’elle permet de vivre sans guerres depuis plusieurs décennies ? En ce sens, les quelques pays qui ont osé soumettre ces textes à l’approbation populaire ont fait preuve de courage, quoi que le procédé impliquât de se confronter à des années de frustration démocratique.

Il existe au moins trois leçons à tirer des revers récents du processus d’intégration européenne. Tout d’abord, le constat d’échec patent des responsables politiques a évité que les enjeux nationaux ne débordent sur le débat communautaire. L’Europe s’est montrée incapable d’exister en tant que telle. Dans le brouillard du saupoudrage, les citoyens continueront de considérer l’État comme l’interlocuteur privilégié tant qu’il n’y aura pas eu de clarification des champs de compétence. De plus, bien contents d’avoir présenté l’Europe comme la cause de tous les maux, les politiques sont bien incapables aujourd’hui de montrer son intérêt. Ensuite, l’Europe ne fait plus rêver même là où elle a tant apporté (même la paix apparaît désormais comme une normalité). Enfin, le déficit démocratique de l’Union européenne est devenu tel que le rejet l’a emporté sur le simple cynisme de l’électeur. Incapable de corriger durablement cet écueil, le politique nourrit désormais le rejet par ses tentatives désespérées de corrections.

Sortir l’idée européenne de l’utopie pour se confronter au réel

Par ailleurs, le camp fédéraliste a cette triste certitude que l’objectif d’une fédération européenne sera nécessairement bon. Dire que l’on est fédéraliste est chose aisée, mais, expliquer qu’il s’agit là d’un choix raisonné et aux conséquences profitables est une autre paire de manche…

À quoi pourrait ressembler un État européen fédéral quand l’acception même de l’État et de ses missions est à géométrie variable ? De l’État libéral à la République solidariste, il existe un fossé d’autant plus fondamental que l’histoire européenne, malgré ces convergences, repose notamment sur la construction d’États-nations.

Aussi, croire en l’hypothèse des États-Unis d’Europe relève donc d’une pure vue de l’esprit, car les particularités politiques, sociales, économiques et culturelles ne sont pas aussi homogènes qu’aux États-Unis d’Amérique et l’exemple canadien, parfois présenté comme un modèle de fédéralisme en Europe, fait souvent fi de l’ardent débat national que l’on connaît.

Enfin, il n’est nul besoin de s’appesantir sur les turpitudes politiques actuelles de l’État belge pour étayer l’idée que le fédéralisme s’accommode difficilement des réalités nationales.

En tout état de cause de cause, il semble de plus en plus évident que la construction européenne se heurtera désormais à la souveraineté populaire. Sauf à voir la construction européenne reprise en main par les élites, il faudra donc désormais composer avec l’implacable reprise en main du débat par le peuple.

Rénover l’Europe pour inclure le citoyen dans sa construction

Même la fameuse superstructure « à l’européenne » que prétendait souhaiter Robert Bourassa n’est plus. Ainsi perdue entre l’intégration régionale et l’État continental, l’Europe n’a plus de logique et les électeurs qui pourraient être séduits par la poursuite du processus doivent prendre conscience que l’avancée politique est telle que 80 % de la législation française est d’origine européenne et que la codécision continue de s’étendre.

Qu’en sera-t-il des modèles sociaux, de la diplomatie ou des modèles scolaires s’il s’agissait d’aller plus avant dans l’intégration ? L’union sur le monétaire, n’implique pas l’accord sur l’économique et l’entente sur les droits de l’Homme n’emporte pas le consensus les droits sociaux. En bref, les atavismes nationaux sont les premiers freins (et les plus respectables) de la marche commune : il est donc grand temps de composer avec, plutôt que de tenter de les dépasser.

Pour cela, les dérives technocratiques doivent donc être conjurées par la mise en place d’un dispositif de décision permettant de surmonter les déficits démocratiques actuels en respectant scrupuleusement les expressions populaires et nationales. À ce sujet, on ne peut que déplorer l’utilisation souvent inappropriée du concept fédéral. D’autres systèmes qui ne sont pas moins nobles pour autant (à commencer par l’idée de confédération d’États) sont trop souvent mis de côté par méconnaissance profonde des implications juridiques qu’elles emportent.

En tout état de cause, l’Europe ne pourra pas continuer de s’occuper de tout sans être pleinement responsable de rien. Si tant est que l’Europe puisse continuer de se développer avec une si faible assise démocratique, il faudra que soient balisés de véritables champs de compétences, limitativement énumérés, mais clairs, pour répondre aux enjeux mondiaux du XXIe siècle. Dans le cas contraire, il restera impossible d’ouvrir une alternative véritable remettant en cause l’orientation néolibérale imposée par les instances européennes.

C’est pourquoi la tâche des progressistes n’est pas seulement de réhabiliter le concept de nation républicaine comme communauté de citoyens, mais d’en faire aussi le vecteur d’une autre idée de l’Europe. Car l’Europe de MM. Barroso et Solana est une Europe anémiée, invertébrée, réduite au dogme libéral qui l’empêche d’être un acteur de son destin.

À juste titre certainement, le cas européen a longtemps été brandi au Québec comme une inspiration pour le renouvellement des rapports entre les provinces et le Canada. Plus qu’une question de méthode, il s’agit pour nous d’avoir le courage de regarder crûment, mais sereinement un idéal passé devenu carcan.