L’ancienne ministre des Affaires municipales, Mme Louise Harel, s’est déplacée à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), le mercredi 28 janvier 2015 à 18 h, afin de participer à une soirée-débat, organisée dans le cadre du cours Système politique montréalais (POL4840). J’ai eu l’opportunité de coanimer la séance avec l’enseignant Florent Michelot, sous le thème Des fusions aux défusions : quel choix de décentralisation et de démocratie pour Montréal ? Puisque c’est à Louise Harel qu’a été confié le dossier controversé des fusions municipales de 2000, il était pertinent d’inviter l’ancienne ministre à s’exprimer sur le sujet dans le contexte de cette conférence. Bien structurée, la séance s’est déroulée en trois parties. J’ai d’abord présenté l’invité à l’ensemble des étudiants présents et mis en contexte le sujet de la discussion. Puis, Louise Harel a expliqué divers aspects des fusions municipales de 2000 et des défusions de 2003. À la suite de son allocution, les étudiants ont eu la chance d’échanger avec la femme politique dans le cadre d’une période de questions. Le projet de loi sur les fusions municipales a suscité de vives réactions au sein de la population québécoise lors de sa mise en place et c’est pourquoi j’ai cru pertinent de poser la question suivante à Louise Harel, comme question de départ de sa conférence : est-ce que le gouvernement péquiste de l’époque a respecté les principes de démocratie participative dans l’élaboration du projet de loi sur les fusions municipales ? Connaissant maintenant le contexte de la conférence et la question de départ, il est pertinent de se demander, avec le recul, quelle est la perception de Mme Harel en ce qui concerne la démarche qui a été utilisée pour élaborer et mettre en place le projet de fusions municipales ? Pour ce faire, il est à propos de décrire objectivement de la conférence de l’ancienne ministre des Affaires municipales et d’analyser ses propos.
Description de la conférence
Tout d’abord, pour bien comprendre la vision de Louise Harel, il est important de décrire le contenu de sa conférence. En fait, ce soir-là alors que je cède la parole à Louise Harel, celle-ci explique aux étudiants que « le changement se produit dans une société lorsqu’il y a des ruptures. » Selon elle, il y a bel et bien des ruptures au sein de la population, c’est-à-dire des désaccords importants, au moment où elle dépose le projet de loi sur les fusions municipales le 15 novembre 2000. Elle raconte le contexte dans lequel on lui confie ce dossier :
En 1998, je suis nommée ministre des Affaires municipales et je succède Rémy Trudel. Rémy avait fait un premier pas. Il avait lancé les fusions paroisses villages. Il y a eu une époque au Québec où les villages ont vu leur paroisse se dissocier à cause d’un trottoir. En fait, quand un village installait des trottoirs, la paroisse ne voulait pas les payer et se dissociait pour constituer une entité distincte. Donc, Rémy a lancé une démarche pour mettre fin à ce phénomène. Moi, quand j’arrive, on est rendu à un autre niveau […] Il s’était constitué un groupe de maires, composés des maires des six grandes villes du Québec […], qui avait commencé des travaux sur la question de centralité.
Pour Louise Harel, le concept de centralité est primordial, afin de comprendre la réorganisation municipale de 2000. Elle définit ce concept comme étant le fait qu’une ville « rende des services à des citoyens qui viennent travailler, s’amuser, se faire soigner ou étudier dans leur ville, mais qui n’assument pas les coûts inhérents à ce que l’on peut appeler les externalités ». Un élément important de la réorganisation municipale a justement été, selon Mme Harel, la création de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui réunit aujourd’hui 82 municipalités avec une caractéristique commune, c’est-à-dire qu’au moins 50 % des résidents gagnent leur vie en dehors de leur municipalité. L’ancienne ministre des Affaires municipales témoigne également de la manière dont se sont déroulées les fusions municipales :
Pour pouvoir faire une fusion municipale, il fallait que le maire de la ville-centre et le député le demandent. Il fallait la conjugaison des deux volontés […] Le temps jouait contre nous, [et ce], par exemple, pour tenir des référendums. Je regrette maintenant que nous n’en ayons pas tenu un, mais nous l’aurions fait en étant certains de le gagner. La population de la ville d’origine de Montréal était favorable, ce sont les banlieues qui ne l’étaient pas […] La question linguistique était [aussi] importante […] Il y avait sur l’île de Montréal 14 villes qui, en vertu de la loi 101, avaient un statut de ville bilingue et il n’était pas question de leur retirer ce statut […] Il fallait trouver une façon différente de travailler […] En fait, le projet de loi 170 sur les fusions municipales modifiait la Charte de la ville de Montréal. Et, si la charte a été unifiée pour tenir compte des arrondissements, c’est [justement] pour tenir compte de la question linguistique.
Par la suite, Louise Harel rappelle qu’il y a 240 municipalités au Québec qui ont fusionné, dont principalement des capitales régionales. Elle précise que présentement au Québec, il y a « seulement 10 villes qui ont plus de 100 000 habitants, jusqu’à Montréal qui en a presque 2 millions. Ces villes occupent 1 % du territoire, alors qu’elles représentent presque 68 % de la population. » En fait, le territoire du Québec est constitué de presque 1000 villes qui ont moins de 500 habitants.
Vers la fin de sa conférence, Mme Harel aborde le sujet du projet de loi 9 sur les défusions municipales. Elle explique que ce n’est pas ce projet qui a réellement transformé Montréal, mais plutôt la loi 133 :
En décembre 2003, dans un bâillon de neuf lois, une loi passe complètement inaperçue. La loi 133 modifie la Charte de la ville de Montréal et transforme les arrondissements en ce que j’appelle des casis-villes. La loi accorde aux arrondissements le pouvoir de taxer, d’emprunter, d’embaucher et de poursuivre en justice. Le but était d’essayer de garder les villes qui voulaient défusionner en leur donnant ce qui allaient possiblement les convaincre de rester dans la ville […] Mais finalement, ceux pour qui cette loi avait été faite […] ont quand même voté pour la défusion de leur municipalité au référendum de 2003.
Analyse des propos de Louise Harel
En second lieu, il est pertinent de réfléchir à la question suivante : avec du recul, quelle est la perception de Louise Harel en ce qui concerne la démarche qui a été utilisée pour élaborer et mettre en place le projet de fusions municipales ? À première vue, les propos de Louise Harel laissent possiblement entendre que, selon elle, la population a suffisamment été consultée dans le cadre du projet des fusions municipales. Si la démarche était à refaire, il semble qu’elle referait le tout sensiblement de la même manière à une exception près, c’est-à-dire qu’elle prendrait le temps de tenir un référendum au sein de la nouvelle ville de Montréal, mais cela en étant certaine de le gagner. L’échange suivant entre Mme Harel, moi-même ainsi que Florent Michelot, qui a eu lieu au cours de la période de questions, témoigne de sa vision en ce qui concerne la consultation de la population dans l’élaboration de ce projet de loi :
Isabelle Neveu : — Vous avez expliqué que pour qu’une fusion de municipalités ait lieu, il y avait une condition à remplir, c’est-à-dire que la fusion devait être la volonté du maire de la ville-centre et du député. Mais, autre que cette condition-là, est-ce qu’il y a eu une certaine démarche de consultation de la population ?
Louise Harel : — Il y a eu une commission parlementaire, où les groupes d’intérêts sont venus déposer des mémoires, ça l’a été essentiellement ça …
Isabelle Neveu : — Qu’est-ce que ça l’a donné ?
Louise Harel : — Bien, ça l’a donné ce que l’on sait. Ceux qui étaient pour venaient dire qu’ils étaient pour et ceux qui étaient contre venaient dire qu’ils étaient contre.
Isabelle Neveu : — Est-ce que vous avez retenu quelque chose de cette commission parlementaire ?
Louise Harel : — Évidemment, la commission parlementaire a eu lieu sur la base du projet de loi et il y a eu une consultation sur l’état de consultation publique à Montréal.
Florent Michelot : — Sur les moyens de consultation, est-ce qu’on aurait pu mobiliser des outils similaires à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), que vous avez créé, dans le cadre de projet comme celui-là outre les simples commissions parlementaires ?
Louise Harel : — Moi ce que je souhaitais c’est que l’OCPM soit mandatée pour tenir une consultation publique sur le statut de métropole et sur ce que doit devenir Montréal.
Cet échange donne l’impression que Mme Harel semble être persuadée d’avoir suffisamment consulté la population en réalisant une commission parlementaire, comme il est coutume de le faire. Si c’est réellement le cas, comment expliquer l’importante vague de contestations contre ce projet de loi. Rappelons que le 10 décembre 2000, « une manifestation antifusion rassemble près de 75 000 personnes dans le centre-ville de Montréal ». (RADIO-CANADA, « Fusions, défusions : Le film des évènements » [en ligne], http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/defusions/referendums/film.shtml, page consultée le 8 mars 2015) Ce jour-là, « les 27 maires de la banlieue de Montréal exigent un référendum sur les fusions municipales et le report du projet de loi 170 sur la réorganisation municipale »(RADIO-CANADA, « Fusions, défusions : Le film des évènements » [en ligne], http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/defusions/referendums/film.shtml, page consultée le 8 mars 2015), une demande qui ne sera pas entendue par le gouvernement péquiste. L’Assemblée nationale du Québec définit la commission parlementaire comme étant « un groupe de travail composé d’un nombre restreint de députés, chargés […] d’examiner en détail les projets de loi ou d’autres questions d’actualité. » (Commission parlementaire, Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec [en ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/lexique/commission-parlementaire.html, page consultée le 15 décembre 2014)En fait, l’étude de projet de loi constitue une activité centrale des commissions et fonctionne de la manière suivante :
Après l’adoption du principe d’un projet de loi public, ce dernier est envoyé à la commission parlementaire compétente afin qu’elle procède à son étude détaillée. Après la présentation d’un projet de loi public et à la demande de l’Assemblée, une commission peut également procéder à des consultations. Celles-ci sont générales lorsque la commission entend les personnes et organismes qui désirent faire connaître leur opinion, ou particulières lorsque l’avis de personnes et organismes est sollicité.
Il est pertinent de se demander jusqu’à quel point la commission parlementaire reflète l’opinion publique et si cela influence réellement le contenu des projets de loi. Lorsque je demande à Mme Harel ce que la commission parlementaire sur le projet de fusions a donné et ce que le gouvernement en a retenu, elle répond simplement que les gens en faveur du projet sont venus le dire tout comme ceux qui étaient en défaveur. Puis, elle détourne la question quand vient le temps de dire ce qu’ils ont retenu de cette commission. Dans un projet d’envergure comme celui des fusions municipales, une commission parlementaire est-elle suffisante ? Est-ce que ça permet réellement à ce que l’opinion des citoyens soit entendue par les élus dans le cadre d’un tel projet de loi?Bref, est-ce que le fonctionnement des commissions parlementaires correspond encore à l’exigence de la démocratie aujourd’hui ?
Par ailleurs, Mme Harel ne semble pas complètement satisfaite du résultat des fusions municipales, notamment à cause de ce qui a suivi le projet de loi 170 quelques années plus tard, c’est-à-dire l’adoption de la loi 133 et les référendums de défusions réalisés en 2003 par le Parti libéral du Québec. Pour elle, les arrondissements de la ville de Montréal ne devraient pas être des « casis-ville » :
J’ai introduit les arrondissements parce que j’y croyais, mais je ne crois pas que les arrondissements doivent être des casis-villes avec des maires qui se prennent pour des maires. Moi, je pense qu’il doit y avoir un seul maire dans une ville, il ne peut pas en avoir 19.
Rappelons que, selon Mme Harel, c’est la loi 133 qui a réellement transformé la ville de Montréal telle qu’elle est à l’heure actuelle, en accordant de nombreux pouvoirs aux arrondissements, et ce, dans le but d’essayer de garder les villes qui voulaient défusionner. Il est pertinent de se questionner à ce sujet. En effet, si des référendums — ayant pour but de connaître l’opinion des populations — avaient eu lieu dans l’ensemble des villes touchées par le projet de loi 170 avant son adoption, peut-être que la loi 133 n’aurait jamais vu le jour. Aujourd’hui, Mme Harel constate des distorsions dans le partage des champs de compétences entre la ville-centre et les arrondissements, notamment en ce qui concerne les ressources humaines, les directeurs d’arrondissements et les achats au sein de la ville de Montréal. Elle confie qu’elle « avai[t] l’indignation au plafond de ce qui se passait à la ville de Montréal » et que ça a influencé son passage en politique municipale en 2009. Bref, les propos de Louise Harel semblent être contradictoires. D’un côté, elle est referait sensiblement la même démarche d’élaboration du projet de loi et d’un autre côté elle n’est pas satisfaite du résultat des fusions municipales à l’heure actuelle.