Pour que le numérique ne soit pas qu’un divertissement

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Cette lettre a été publiée dans la section Opinion de l’édition du 17 juin 2019 du quotidien Le Devoir.

Les auteurs commentent Le Devoir de philo publié le 8 juin dernier, « L’école à l’heure du divertissement numérique ».

Penser le monde contemporain en s’inspirant d’un auteur est un exercice audacieux. Il peut être riche, s’il s’inscrit dans un dialogue intellectuel entre les faits, d’une part, et les sources textuelles et leurs exégèses, d’autre part. Il peut être risqué si l’on cherche à plaquer ses propres conceptions en ne mobilisant que ce qui arrange chez un auteur. L’oeuvre de Pascal ne se réduit pas aux Pensées et il convient d’aborder d’autres pans de ses travaux. Il fut aussi pédagogue et De l’esprit géométrique et de l’art de persuader en est le reflet. Dans cet opuscule, il rappelle que l’art de persuader implique de n’utiliser pour axiome que des évidences, de prouver les propositions et de refuser de tromper par des termes équivoques. Or, les contradictions à ces préceptes pascaliens sont nombreuses dans le texte de Réjean Bergeron.

Par exemple, on qualifie sentencieusement de détestable le mot « apprenant », sans autre forme de procès, mais comment le remplacer ? La compétence numérique s’adressant à tous les individus sur un banc de classe, de la maternelle à l’université, on ne saurait réduire ces derniers au seul qualificatif d’élève ou d’étudiant.

Surtout, prétendre que la compétence numérique répond à un objectif de ludifier est un contre-exemple idéal à l’art de convaincre. Sur quelle base objective affirme-t-on cela ? Sur quelle base prétend-on qu’il ne serait qu’une réponse à la recherche du divertissement à tout crin ? Cette affirmation, démontrant une compréhension limitée du cadre de référence, déforme la réalité et promeut une conception de l’éducation ne tenant pas compte des défis contemporains et de la conjoncture technologique mondiale soulignés par une multitude de travaux.

L’approche par compétence a ses détracteurs et la critique est tout à fait justifiée, car elle n’est pas la panacée. Cela étant, prétendre que la compétence nie l’idée de connaissance est un non-sens. Fondamentalement, l’un des postulats de la notion de compétence est la gradation des objectifs cognitifs par Bloom. Or, ces objectifs reposent sur le socle de la Connaissance et de l’action de se souvenir. D’ailleurs, le glossaire de la décriée compétence numérique évoque explicitement cela dans la définition de la littératie numérique présentée comme les « connaissances et compétences permettant à une personne [de s’engager] dans un contexte numérique ».

Propos exagéré

Le propos devient exagéré quand il est prétendu que la compétence numérique servira de ferment aux infox (les fake news) et ouvrira la porte à l’avidité des « GAFAM », les Google, Facebook, Amazon et autres Microsoft. C’est le contraire qui est souhaité quand on évoque « une attitude réflexive sur l’information et ses usages en étant conscient des contextes dans lesquels elle a été produite et reçue ainsi que des raisons pour lesquelles elle est utilisée », « un jugement réflexif sur son utilisation du numérique » ou encore la prise de « conscience des enjeux liés aux médias, aux avancées scientifiques, à l’évolution de la technologie et à l’usage que l’on en fait ». Le cadre de référence, c’est apprendre à un élève du primaire que l’information trouvée sur Internet n’est pas toujours véridique et qu’il doit la contre-vérifier. C’est aussi sensibiliser les personnes aux risques physiques ou psychologiques liés à une utilisation excessive ou inadéquate de la technologie. C’est aussi apprendre à un étudiant universitaire qu’il existe plusieurs types d’applications ou de logiciels facilitant le travail collaboratif à distance.

En revanche, réduire le cadre de référence à une commande politique dépourvue de sens dans un exercice bancal de rapprochement avec Pascal, voilà un procédé fâcheux. Le cadre de référence n’est que ce qu’il prétend être : un cadre de référence. Il ne s’agit pas d’un document détaillé dans lequel sont explicités les savoirs et les connaissances reliés au numérique et organisés en 12 dimensions. Le cadre n’est ni un outil de promotion des outils technologiques, ni un manuel IKEA qui se contenterait de bêtement ludifier les apprentissages avec le numérique.

Au-delà de l’oeuvre philosophique, rappelons que Pascal fut en outre un remarquable mathématicien (Chateaubriand décrivait Pascal comme un effrayant génie !) à l’origine de la pascaline. Cette machine arithmétique est présentée aujourd’hui comme la première machine à calculer et la compagnie d’informatique IBM s’en inspirera même pour produire quelques dizaines de machines dans les années 1960. Pascal, donc, mais aussi Bacon, Condorcet, etc. : nous nous émerveillons de ces penseurs qui travaillaient aux choses de l’Esprit et de la Nature.

Ainsi, sur l’enjeu de rapprocher Humanités et Sciences que rappelait Normand Baillargeon dans sa chronique en hommage à Michel Serres, nous croyons utile de sensibiliser les apprenants, élèves ou étudiants, aux choses de l’informatique : la familiarisation aux notions d’algorithmes, de logique ou de codes impose un dépassement intellectuel multidisciplinaire. Considérant le rôle du numérique dans les défis éthiques, démocratiques, socioéconomiques et environnementaux contemporains, le choix de développer une compétence numérique n’est pas céder à la quête du divertissement. C’est un préalable indispensable à un dessein individuel et collectif plus grand.

Charte de l’UdeM : un contre-exemple de bonne gouvernance universitaire

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Chronique hebdomadaire à La Matinale de CIBL 101,5 Montréal

Saviez-vous que la classe religieuse avait toujours sa place sur le conseil de l’Université de Montréal ? À l’aune du projet de réfection de charte de l’université de Montréal, on décortique les fondements de l’institution…

Et la richesse sociale du diplôme?

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Texte publié dans l’édition du 3 mai 2012 du quotidien Le Devoir

L’argumentaire pour la hausse développé hier dans les pages du Devoir par un certain nombre de personnalités réduit les diplômes à leur apport économique individuel. Il passe complètement à côté des avantages économiques et sociaux collectifs de l’accès universel à une éducation de qualité. Dans un pays riche et développé comme le Québec, la question des droits de scolarité n’est jamais une question de faisabilité. C’est une question de répartition de la richesse et de choix politique.

Il faut le dire : la force économique du Québec-pays permettra de se doter d’un système scolaire gratuit, alors que la marge budgétaire du Québec-province permettrait tout de même un gel des droits de scolarité. Nous refusons l’argument de la « juste part ». Est-il juste de demander à l’étudiant de payer avant même de devenir un contribuable, le forçant à travailler pour faire ses études, une part qu’il pourra rendre au centuple plus tard en payant, grâce à son éducation, plus d’impôts que la moyenne, au bénéfice de l’ensemble de la société ?

La fixation canadienne

On nous ressasse la comparaison avec le Canada et les États-Unis, espérant que le Québec puisse les imiter. On reste les yeux rivés sur l’Amérique du Nord, en oubliant nos amis mexicains qui jouissent de la gratuité scolaire. Le discours économique vante la mondialisation, mais pour le financement de l’éducation on devient myope, restreint au modèle canado-étatsunien. On cite rarement les modèles de faibles droits de scolarité et de gratuité. Outre le Mexique, dans plusieurs pays d’Europe, l’université y est gratuite ou moins chère qu’ici. C’est le cas de la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark ; bref, tous les pays nordiques, les plus avancés socialement et économiquement de la planète, auxquels s’ajoutent entre autres la République tchèque, la France, la Belgique, l’Autriche, la Suisse, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. En cette époque, s’arrêter à cette proximité géographique relève presque d’une forme de repli sur soi.

La hausse des droits est réductrice de plusieurs façons, même sur le plan économique, car axée sur l’individu et le court terme. De plus, la comptabilité économique a ses limites. Quand des esprits bien formés mettent de l’avant des politiques contre l’intimidation ou la maltraitance, il y a là la poursuite d’un mieux-être collectif qui vaut plus que de l’argent.

Une vision économique d’ensemble consisterait plutôt à mieux situer le budget de l’éducation dans celui du Québec tout entier. Plusieurs sources de revenus du Québec sont possibles pour financer les collèges et les universités, dont les redevances sur les mines, comme il se fait ailleurs dans le monde.

… et la myopie provincialiste

Le problème du sous-financement des universités ne doit pas faire abstraction du cadre fédéral. On oublie trop souvent qu’il provient essentiellement des coupes des transferts fédéraux à l’éducation depuis 1994-1995, transferts payés d’ailleurs par nos impôts. Mais après ces compressions, Ottawa a préféré utiliser notre argent pour s’ingérer dans le champ de l’éducation, sans tenir compte des responsabilités des provinces (Bourses du millénaire, Fondation canadienne pour l’innovation, chaires de recherche du Canada).

Ces transferts directs aux personnes ont un impact sur le budget du Québec et sur celui des collèges et des universités, en les forçant à payer des subventions d’appariement, des frais indirects, des achats de matériel et de services d’entretien des laboratoires au soin du Québec.

Le régime fédéral accentue ainsi un déséquilibre fiscal qui nous coûte plus de 800millions par année en créant ce mal-financement. Il y a là amplement de quoi refinancer les universités. Avec les quelque 4,5milliards que représentent les coûts de la défense par année pour le Québec, le choix de l’indépendance se pose clairement dans le dossier de l’éducation comme dans bien d’autres.

Pour la démocratisation du savoir

Peut-on se permettre de revenir à l’époque où les riches étaient les seuls à avoir accès aux études ? Les meilleurs emplois sont le fruit d’innovations technologiques. Ils exigent une formation de pointe. Notre meilleure arme dans la mondialisation demeure l’éducation et la formation d’une main-d’oeuvre spécialisée, seul rempart contre les délocalisations.

Avec son Plan Nord, Jean Charest veut confiner le Québec à l’exportation de matière première. L’avenir est à l’économie du savoir et à de solides secteurs secondaire et tertiaire. Mais notre gouvernement provincial refuse ce levier qu’est l’éducation et abdique sur l’accès aux études comme sur la transformation locale des ressources du Nord.

Il fait la leçon aux étudiants, mais ne prend pas les moyens budgétaires et politiques pour amener Québécois et Québécoises vers une économie plus compétitive mondialement, plus productive économiquement et socialement.

 

Ont signé ce texte : Angèle Richer, Siegfried L. Mathelet et Gilbert Paquette, appuyés par André Binette, Jocelyne Couture, Micheline Labelle, Andrée Lajoie, Florent Michelot, Ercilia Palacio, Pierre Paquette, membres du CA des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO).