Parce qu’il est encore temps de rêver

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Esquisse sur la naissance d’Option nationale ou la tentative de rénover l’engagement militant par la base

À paraître dans le prochain
numéro de l’Action nationale

Ce texte sera publié dans le numéro de juin de l’Action nationale, consacré aux 25e anniversaire des Intellectuels pour la souveraineté.

Par cet article, nous souhaitons engager une réflexion sur la naissance d’Option nationale (ON), un mouvement qui, en dépit de ses nombreuses faiblesses, a représenté un espoir pour une part non négligeable de la population. Ce parti arrivait sur la scène politique 16 ans après le dernier référendum et allait insuffler un inattendu vent de fraîcheur militant chez une génération qui n’avait pas pu s’exprimer au référendum de 1995. À défaut d’estimables succès, on ne peut en nier les succès d’estime. Observons donc sereinement les faits. D’aucuns avaient considéré qu’après la naissance de Québec solidaire, ON avait été un coup de massue fatal sur le fragile édifice indépendantiste, voire la mère de tous les maux: cela est probablement tout à fait exagéré. La lente chute du Parti québécois (PQ) ne résulte pas d’une seule cause et l’émiettement du mouvement indépendantiste en de multiples chapelles n’a pas attendu ON ou Québec solidaire QS).

Michelot, F. (2020). Parce qu’il est encore temps de rêver. Esquisse sur la naissance d’Option nationale ou la tentative de rénover l’engagement militant par la base. L’Action Nationale, CX(6), 140–153.

  Lire la suite sur le site de L’Action nationale.

L’échec du rassemblement national par le mythe du Centre plutôt que par la seule indépendance

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Le billet a été édité le 10 mars 2014

Lettre publiée dans sa version raccourcie dans l’édition du 12 mars 2014 du quotidien Le Devoir

Comme pour des milliers d’individus immigrants et nouvellement citoyens, j’aurai l’honneur d’exercer pour la première fois mon devoir de citoyen à l’occasion du scrutin du 7 avril prochain.

Depuis mes premières semaines ici, en 2006, je porte dans mon coeur le projet indépendantiste. Quoi que certains veuillent faire croire que les nouveaux arrivants sont plus frileux sur la question nationale, je crois au contraire que beaucoup d’entre eux y sont bien plus disposés qu’on ne le pense. La raison en est simple : la normalité d’appartenir à un État souverain, nous la connaissons, de même que la possibilité d’être fier de sa Nation, lors d’une compétition ou d’événements rassembleurs notamment, sans à devoir supporter les Cassandres qui accusent de tout politiser. L’indépendance pour moi, comme pour beaucoup de mes nouveaux concitoyens donc, elle est nécessaire, urgente et réalisable.

Indépendantistes : ni ennemis à droite, ni adversaires à gauche

Un rassemblement de Cap sur l’indépendance avec, notamment, Françoise David, Bernard Landry, Vivian Barbot, Pauline Marois et Daniel Paillé — Photo Le Devoir

Je suis un homme de Gauche, aussi. C’est d’ailleurs selon moi, un corollaire logique de mon indépendantisme — les deux étant intimement liés, se nourrissant l’un et l’autre —, la Gauche portant en elle la volonté de dépassement de l’ordre établi, volonté procédant elle-même de l’idée que rien ne peut résister, pas même les plus grands défis, aux progrès de l’esprit humain, lorsque particulièrement mû par des projets collectifs.

D’autres expliqueront leur attachement au projet national sur la base d’autres raisonnements. Ils ne sont à mes yeux pas moins valides; au contraire, ils tout aussi louables, car complémentaires, puisqu’ils attaquent par leurs raisonnements certains angles morts des discours de gauche.

Cette pluralité d’analyses est souhaitable et ce point de vue est largement partagé parmi les indépendantistes de tous bords. Ainsi, contrairement à la fausseté répandue de façon intéressée que Québec solidaire pose des conditions à l’indépendance, on doit enfin accepter de voir dans le parti de gauche la volonté d’inscrire une démarche dans un courant qui rejoindra mieux certains courants de pensée. La nature même de l’Action démocratique du Québec, dans ses premières années, correspondait à cette réalité. Cela ne l’a pas empêché de souscrire à la campagne du Oui en 1995.

Aussi, s’il est clair que le mouvement indépendantiste est pluriel et que cette pluralité constitue une richesse, il faudra bien accepter un jour ou l’autre que, de façon organique, la tendance à sa nucléarisation semble inexorable.

La dislocation programmée du bloc souverainiste

Dans l’absolu donc, qu’un grand chef d’entreprise québécoise se rallie ouvertement au projet indépendantiste n’est pas de nature à heurter mes convictions. Et, oserai-je même, ce genre de ralliement me semblerait à même de renforcer notre projet collectif si toutefois le Parti québécois tenait un discours clair et disposait d’une stratégie rassembleuse autour de l’indépendance. Refuser de « faire de la politique ouverte » et se contenter de s’en remettre à la nébuleuse rédaction d’un « livre blanc », c’est demander au peuple de faire aveuglément confiance à ses dirigeants. D’ailleurs, parler de « prérogative » ministérielle tel un pouvoir régalien médiéval, comme l’a fait Mme la Première ministre Marois, cela dénote une bien mauvaise compréhension de cet élan inexorable et universel de démocratisation participative.

Ajoutons à cela que ledit entrepreneur est à l’origine de conflits sociaux parmi les plus médiatisés qu’ait connus le Québec de ces dernières années. Bref, il n’est pas besoin d’être grand devin pour comprendre que cela puisse facilement paraître pour un bras d’honneur à ceux des progressistes-indépendantistes fatigués d’avoir trop longtemps contorsionné leurs convictions au profit d’un parti de coalition qui n’assume plus qu’à demi-mot son essence.

Le Parti québécois est né de cette volonté ambitieuse de fédérer les forces indépendantistes dans une seule et même organisation. Historiquement, cela a été privilégié, notamment considérant le système électoral inique dans lequel nous évoluons. Ceci étant, cette approche n’est pas indépassable. Étant donné les résultats très nuancés de cette stratégie partisane depuis 1968, il n’est pas illogique qu’elle soit légitimement remise en cause.

Rassembler, c’est une responsabilité

Et si M. Péladeau rappelait ce matin les mots de M. le Premier Ministre Landry, « ni à droite, ni à gauche, devant! », il revient au seul Parti québécois de faire la démonstration claire que l’indépendance est effectivement devant nous, sans les atermoiements brumeux dont la première semaine de campagne nous a encore abreuvés, de la formule du « premier mandat, dans le deuxième, dans le troisième », au fameux « en temps et lieu ». Autant la profession de foi indépendantiste de M. Péladeau peut être saluée, autant la démarche opaque privilégiée par les officines péquistes doit être condamnée.

Ce n’est pas en se déclarant être le lieu de rassemblement du mouvement souverainiste qu’on le devient de facto. Regrouper des gens qui se disent de droite ou de gauche ne le permet guère plus; tout au plus, cela démontre une certaine capacité de conciliation. Rassembler les indépendantistes, cela ne peut se faire qu’en assumant pleinement le seul dessein qui les unit : la souveraineté du Québec.

Qu’on le veuille ou non, d’ici à ce que le flambeau de l’indépendance soit repris dans un élan d’unité nationale, la démarche embarrassée qui préside au PQ depuis 2007, confirmée par cette première semaine de campagne, n’en finit plus de valider les démarches de Québec solidaire et d’Option nationale.

Les bœufs sont lents mais la terre est patiente

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Il y a quelque chose d’original d’avoir l’ambition de redonner la vie à ce blogue quand il s’agit de livrer une analyse sur le sort réservé au Bloc québécois aux élections du 2 mai dernier. Cet exercice est personnel et je n’ai pas l’ambition de prétendre savoir lire dans le marc de café ou dans le foie des volailles…

Rendons à César ce qui appartient… à Harper

N’en doutons pas, le grand succès du premier ministre Harper ne réside pas que dans l’obtention d’une Chambre des communes majoritaire. C’est une fin qui n’aurait pu être espérée sans un travail de longue haleine de l’équipe conservatrice : en poussant la polarisation des débats à leur maximum, Stephen Harper vient de mettre un point d’arrêt à cette idée selon laquelle le Canada se gouverne au centre, dans le plus grand consensualisme. Les exemples sont nombreux et il est inutile de revenir sur les cas où le Gouvernement Harper a joué d’un certain esprit de provocation pour cristalliser le débat autour de lignes idéologiques claires.

Victime collatérale logique, le « parti de gouvernement naturel du Canada » qu’était le Parti libéral du Canada n’est plus que l’ombre de lui-même. Le remplacement de Stéphane Dion par Michael Ignatieff n’aura donc rien changé au lent déclin au parti de Wilfrid Laurier : qu’il s’agisse de fidélité électorale de certaines communautés, du bastion torontois ou de la forteresse des provinces de l’Atlantique, les libéraux n’ont pu contenir la marée bleue inexorablement montante depuis 2006. Parmi les signes avant-coureurs de ce phénomène, le journaliste Martin Croteau décrivait, peu de jours avant le vote, comment l’électorat juif torontois se distançait peu à peu de ses vieilles habitudes en appuyant de plus en plus massivement les conservateurs.

Les deux mandats minoritaires de Stephen Harper ont démontré que le Canada pouvait se gouverner à droite. Et pour s’opposer à une vraie droite, rien ne vaut une bonne gauche, plutôt qu’un centre prêt à tendre l’autre joue.

La liquidation de la question nationale?

Le Bloc se retrouve donc avec quatre députés à la Chambre. Le résultat a été sévère et souvent injuste pour ceux qui ont perdu : pensons à la qualité du travail réalisé par des députés comme Pierre Paquette, Bernard Bigras ou le prometteur Thierry Saint-Cyr. Surtout, ayons une pensée pour Gilles Duceppe dont le score est une véritable insulte pour le travail accompli ces 20 dernières années. Cette éviction ne fait pas honneur à la carrière de ce grand politicien. Dans une situation plus flatteuse qu’un René Lévesque autrement plus détesté par ses concitoyens à la fin de son second mandat de premier ministre, l’Histoire saura rapidement retenir son nom aux côtés d’autres grands défenseurs de la Nation québécoise.

Malgré cette lourde défaite, je crois qu’il serait faux de croire en la fin de l’option souverainiste. On ne peut tirer un trait sur plus de 50 ans de militantisme au prétexte d’une désastreuse journée qui marque plutôt l’avènement incontestable de l’électeur consommateur.

Sauf que… dans ce contexte de « binarisation », des positions, de choc des idéologies, qu’elle pouvait être la place du Bloc québécois? Pourquoi envoyer un parti souverainiste à Ottawa quand l’idée est portée difficilement au Québec? Le Bloc québécois est un parti dont le cœur bat à gauche, modérément certes, mais à la pensée sociale-démocrate bien équilibrée en vue de répondre à la difficile exigence de représenter la Nation québécoise dans toute sa diversité. Mathieu Bock-Côté, dont j’avoue partager parfois les diagnostics, mais guère les réponses, prétendait même que le bloc « a instrumentalisé le nationalisme québécois pour le mettre au service des valeurs progressistes renommées “valeurs québécoises” bien difficiles à distinguer des valeurs de la gauche canadienne »… Je juge cette affirmation bien excessive quand on sait les convictions du monsieur, mais elle a le mérite de poser la question simplement : face au risque que représente une droite morale néoconservatrice et néolibérale, les citoyens québécois ont préféré s’en remettre à un parti ouvertement à gauche. Dans le doute, on préférera toujours choisir l’originale à la copie.

Pour autant, cet échec patent du Bloc doit-il être compris comme une mise au rencart de la souveraineté? Évidemment, non. Pourquoi? D’une part, parce qu’en dépit de la modeste représentation dont il disposera à Ottawa, le Bloc a tout de même réuni près du quart des voix des électeurs québécois. La grande volatilité de l’électorat dans les deux dernières semaines précédant l’élection a mis à plat ventre le parti souverainiste à qui l’on accordait encore une éclatante victoire peu de temps avant. Souvenons-nous que même Québec pouvait être regagné par le Bloc à l’occasion de cette élection. D’autre part, le sondage Léger Marketing/Le Devoir du 16 avril dernier, donc deux semaines avant le scrutin du 2 mai, indique un niveau d’appui de 43 % à la souveraineté si un référendum « avait lieu aujourd’hui » (page 11). Il faut donc en déduire que le changement de stratégie du Bloc québécois dans la dernière étape, en orientant son discours vers le cœur de l’électorat souverainiste (notamment avec l’entrée en scène de M. Jacques Parizeau), n’a pas réussi. C’est donc une évidence que de dire que le Nouveau parti démocratique a su capter une très large frange du vote indépendantiste.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, la batterie de sondage réalisée conjointement par le Bloc et les Intellectuels pour la souveraineté il y a presque 1 an, à l’occasion des 20 ans de l’existence du parti, démontrait très clairement que les Québécois croyaient en leur capacité de faire de notre Province un Pays et en la viabilité de celui-ci, mais seuls 45 % d’entre eux affirmaient que la souveraineté est réalisable. Il en résulte, dès lors, que 82 % des Québécois préféraient vouloir s’ouvrir une ronde de négociations pour entente constitutionnelle satisfaisant le Québec.

En élisant une large majorité de députés néo-démocrates, les Québécois ont tenté de renouveler leur stratégie d’affirmation nationale, celle-là même que les partis du Québec peinent actuellement à redéfinir. La responsabilité qui pèse sur les épaules du NPD est donc très grande d’autant que les Québécois continuent de montrer leur attachement aux minimales conditions de l’Accord du lac Meech. Dans le cas d’une nouvelle ronde de négociations, celles-ci constitueraient un socle non négociable. En prétendant vouloir réintégrer le Québec dans la Constitution, Jack Layton a créé de grands espoirs qu’il ne pourra décevoir.

Et demain?

En dépit de mon indépendantisme, en tant qu’homme de gauche, je ne peux que regarder avec un brin de sympathie cette percée majeure du NPD. Bien sûr, ce dernier est centralisateur; bien sûr, le profil de certains de ses nouveaux élus peut laisser perplexe; bien sûr, finalement, mon vote irait quoiqu’il arrive au Bloc… Cependant, à l’aube d’une législature qui sera certainement longue, nous n’avons d’autre choix que de prendre notre mal en patience et de laisser le bénéfice du doute aux députés du caucus québécois. La Démocratie a parlé, à nous, Citoyens, d’être vigilants pour l’avenir.

Les possibles scénarios pour demain sont extrêmement nombreux, et l’histoire nous a montré que la politique canadienne peut aussi être très vicieuse : la nuit des longs couteaux du 6 au 7 novembre 1981 et le rapatriement unilatéral de la Constitution l’attestent allègrement. Imaginons le cas où le Gouvernement conservateur de Stephen Harper proposerait une entente a minima au Québec pour le réintégrer en tant que Province dans la Constitution. Sans « chien de garde » bloquiste à Ottawa, pour reprendre l’expression de M. Jacques Parizeau, et tant que les libéraux de Jean Charest seront majoritaires à Québec, une telle stratégie mènerait à une cruelle perte de sens du camp souverainiste. Les fédéralistes provinciaux et fédéraux, en s’entendant sur un accord du Lac Meech II, éloigneraient résolument les « souverainistes mous » de l’idée d’indépendance. Stephen Harper pourrait donc s’enorgueillir d’avoir recomposé la politique canadienne sur un fort axe gauche-droite tout en se débarrassant de la question nationale québécoise. À cet égard, il apparaît donc d’autant plus aberrant d’évoquer la mort du Bloc et c’est justement dans cette configuration qu’il pourrait retrouver toute sa pertinence. Le Bloc québécois a un genou à terre, mais il reste le meilleur outil pour protéger les intérêts des Québécois.

En fait, le Québec vit en ce moment une période politique extraordinaire, une sorte de crise où tout devient d’une incroyable labilité et où tout redevient possible. Pour reprendre encore Gramsci, « la crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». Le Canada tel que nous le connaissons ne pouvait éternellement vivre dans cette schizophrénie politique, sans connaître quelques soubresauts. Le Québec, a contrario, ne pouvait rester dans le rôle de l’éternel adolescent; il est aujourd’hui face à un choix plus clair que jamais : s’émanciper ou se banaliser dramatiquement dans le Canada. Les élections provinciales seront le prochain grand rendez-vous : retroussons nos manches! Comme le disait Falardeau, « les bœufs sont lents, mais la terre est patiente »…

Entrevue avec Gilbert Paquette

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Gilbert Paquette est un chercheur universitaire et un homme politique québécois. Ministre de la Science et de la Technologie dans le gouvernement de René Lévesque de 1982 à 1984, il est chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), il a publié en mars 2008 La nécessaire alliance aux éditions Les intouchables.

Entrevue avec Gilbert Paquette, « La nécessaire alliance » par Florent Michelot sur Mixcloud.

La nécessaire alliance
Gilbert Paquette, mars 2008
Éditeur : Les Intouchables
ISBN-10 : 2895493227
ISBN-1 3: 978-2895493228

La France doit rester garante du libre choix des québécois

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Texte publié dans l’édition du 23 octobre 2008 du quotidien Le Devoir et du 5 novembre 2008 du quotidien français L’Humanité

Dès le 4 avril dernier, le quotidien québécois Le Devoir annonçait la fin prochaine du « ni-ni » dans la diplomatie française à l’égard du fait québécois. Comme il fallait s’y attendre, la courte visite de Nicolas Sarkozy à la Province du Québec aura été un symbole fort de la redéfinition de la nouvelle donne diplomatique française.

Initiée par le ministre gaulliste Alain Peyrefitte en 1977, la politique étrangère française en matière de relations Québec-Canada était basée sur la formule de la « non-ingérence, non-indifférence ». Derrière cette formule, il était d’usage de voir la France consentir à ne pas s’immiscer dans le débat interne canado-québécois, tout en acceptant d’« accompagner » le Québec s’il choisissait l’indépendance dans une démarche démocratique.

Or, vendredi dernier, Nicolas Sarkozy est sorti du placard pour dévoiler ses véritables intentions sur la question québécoise. Par ses déclarations, le Président français a officiellement abandonné cette doctrine : de facto, il a renié le principe de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes en s’ingérant dans le débat sur l’avenir du Québec aux côtés des fédéralistes canadiens.

En présence du Premier ministre conservateur Stephen Harper, il s’est même permis cette sortie surprenante en conférence de presse : « J’ai toujours été un ami du Canada. Parce que le Canada a toujours été un allié de la France. Et franchement, s’il y a quelqu’un qui vient me dire que le monde a aujourd’hui besoin d’une division supplémentaire, c’est qu’on n’a pas la même lecture du monde ».

Parce que nul ne peut dicter la destinée d’un peuple

En 1967, le Président de Gaulle, de la mairie de Montréal, a lancé son célèbre « vive le Québec libre ». Libre de quoi, le Général ne l’a pas dit. Dans tous les cas, le gouvernement canadien de l’époque dénonça l’ingérence étrangère dans les affaires politiques internes du pays, et le Président quitta précipitamment le pays. D’autres, au contraire, y ont vu le salutaire appui à leur quête d’indépendance.

41 ans après, ces quatre mots pèsent toujours lourd dans le débat sur la souveraineté au Québec, et certains y voient justement la caution historique au changement de cap de Nicolas Sarkozy. S’il faut interpréter cette illustre affirmation comme une ingérente marque d’appui au mouvement souverainiste, rien n’interdirait, dès lors, l’actuel Président français de modifier sa vision de nos relations diplomatiques.

Plus justement, l’ancien Premier ministre québécois René Lévesque, dans ses mémoires, interprétait ce propos comme rien d’autre qu’une offre de service : « comme ses successeurs le firent par la suite, chacun dans son style, il ne s’engageait à nous accorder, le cas échéant, que l’appui que nous aurions nous-mêmes demandé. [Or,] rien ne me semblait moins indiqué que tel recours à la caution extérieure, si prestigieuse fût-elle ».

En clair, considérer les propos de Charles de Gaulle comme le pêché originel de la diplomatie franco-québécoise est une erreur fondamentale de jugement : ni lui ni les dirigeants souverainistes n’ont souhaité considérer la France comme un soutien à la cause indépendantiste.

Dans la même optique, contrairement à ce que rapportent nombre de médias, il est tout à fait injuste de voir de l’aigreur dans les propos de l’ex-Premier ministre Parizeau. Lui qui avait collaboré avec l’ancien Président français Valéry Giscard d’Estaing pour aider le Québec à proclamer son indépendance juridique en cas de victoire au référendum de1995, dénonce avec pertinence l’ingérence de Nicolas Sarkozy pour son « jugement très anti-souveraineté du Québec ». Plutôt que de reconnaître l’inaliénable droit des peuples à l’autodétermination, le Président français a préféré s’exprimer en sa défaveur. En ce sens, Nicolas Sarkozy s’est donc permis de préjuger d’une cause qu’il n’a pas à apprécier.

La doctrine qui se dégage de ses quelques jours au Québec, c’est celle des cosmopolites radicaux qui combine merveilleusement l’individualisme le plus absolu au supranationalisme. Il n’y a donc rien de surprenant de voir que Nicolas Sarkozy, déjà séduit par le multiculturalisme canadien, se retrouve dans l’idéal libéral de l’ancien Premier ministre Pierre-Eliott Trudeau. La liberté républicaine positive, celle qui repose sur le sentiment d’appartenance et la participation à une communauté libre et autonome, n’a pas les grâces du Président Sarkozy. Celui-ci préfère certainement s’en remettre à la liberté négative des libéraux individualistes : le premier droit du citoyen serait alors de limiter les possibles entraves de l’État et des autres individus, avant même de pouvoir se prononcer en tant que peuple sur son sort.

… il est nécessaire de préserver nos liens de confiance avec le Québec

Pour la cause indépendantiste, l’ami de Paul Desmarais est d’ores et déjà considéré pour ce qu’il est : un opposant.

Mme Royal, au cours de la dernière campagne Présidentielle, avait dignement déclaré que, « comme dans toute démocratie, le peuple qui vote est souverain et libre. Et donc les Québécois décideront librement de leur destin, le moment venu, s’ils en sont saisis ». Nous savons, par ailleurs, que cet avis est partagé par une large frange de la classe politique française. Aussi, ceux qui croient toujours en la doctrine diplomatique de l’accompagnement du Québec sur le chemin qu’il voudra bien choisir doivent désormais s’exprimer, à défaut de quoi ils cautionneront par leur silence la vision sarkozienne du Québec dans un Canada uni.

Cependant, la France ne doit pas oublier qu’un tel abandon pourrait être lourd de sens pour l’avenir des relations avec le Québec. Il va sans dire que le lien qui unit la France et la province québécoise a quelque chose de viscéral; mais, aussi naturel soit-il, il n’en est pas moins fragile. L’hypothèse d’un Québec indépendant n’est pas à exclure : n’oublions pas qu’en 1995, seulement 54 288 voix avaient séparé les tenants du Oui de ceux du Non. Aussi, dans ce contexte, le mouvement national québécois n’a donc plus nécessairement intérêt à privilégier ce rapport à la France. On pourrait alors envisager que des liens aussi forts, et peut-être encore plus symboliques, pourraient être noués avec d’autres démocraties européennes naissantes, au détriment de son allié historique.

Inconsciemment, le Président Sarkozy a fait la preuve qu’il était temps, pour le mouvement souverainiste québécois, d’engager des relations avec d’autres pays que la France. Quoi qu’il en soit, comme le souligne le Réseau de résistance du Québec, si l’indépendance du Québec doit se réaliser, elle se fera avec ou sans M. Sarkozy, et avec ou sans la France. Si le premier a clairement abandonné le Québec à son sort, il reste à espérer que la seconde ne le fera pas… À mettre toutes ses billes sur Paris, le Québec prend conscience du risque de perdre la mise.

Et puis, loin des réflexions binaires de Nicolas Sarkozy, il est faux de croire que le contentieux Canada-Québec oppose exclusivement fédéralistes et souverainistes. L’actuel Premier ministre libéral du Québec, Jean Charest, pourtant connu pour son fédéralisme, s’est suffisamment répandu en critiques à l’égard de l’asymétrie de certaines relations fédération province, pendant la récente campagne électorale fédérale, pour s’en rendre compte. Le contentieux en question opposerait donc invariablement l’État du Canada à la Province du Québec, que ses représentants soient autonomistes, souverainistes, voire fédéralistes.

Depuis le traité de Paris de 1763 cédant (entre autres) le Canada à la Grande-Bretagne, le Québec a préservé son identité envers et contre tout et surtout sans l’aide de la France. Il serait donc présomptueux de croire que la relation France-Québec puisse supporter toutes les atteintes. Pour ne pas hypothéquer un avenir que tout le monde souhaite commun, et, quel que soit l’avenir du Québec, la France devra respecter scrupuleusement le choix des Québécois dans la conduite de leur destin.

* Édition de l’article le 23 oct. 2008 : Par notre faute, la reproduction de cette analyse dans le quotidien Le Devoir ne mentionne pas l’article du RRQ utilisé comme source dans l’élaboration de ce billet. Aussi, nous tenons à témoigner de notre bonne foi et nous présentons toutes nos excuses à ses auteurs.