Que viennent faire les Beatles dans cette Histoire?

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Publié dans l’édition du 26 novembre 2012 du quotidien Le Devoir

Le musée Pointe-à-Callière annonçait ce lundi la préparation d’une exposition sur les Beatles. Au prétexte du 50e anniversaire de la venue du groupe originaire de Liverpool dans la Métropole, le musée d’archéologie et d’histoire de Montréal choisit de se prêter au jeu risqué du mercantilisme muséologique.

« Les Beatles à Montréal : un exposition [sic] incontournable à venir en 2013 »

Le phénomène n’est pas nouveau et on le retrouve d’ailleurs comme une constante dans l’histoire des musées, car ceux-ci ont toujours baigné dans une tension complexe entre l’objectif de faire preuve du plus haut niveau de rigueur scientifique et celui de la « démopédie », cette volonté, comme l’expliquait Proudhon, de transmettre la connaissance au plus grand nombre, sans distinction d’origine sociale ou culturelle. L’équilibre est toutefois d’autant plus difficile à assurer que le financement des institutions muséales devient une préoccupation majeure pour leurs gestionnaires d’aujourd’hui. Particulièrement soumis aux pressions que subissent les finances de l’État et des municipalités, les musées québécois doivent donc faire preuve d’ingéniosité pour assurer leur viabilité.

Pêle-mêle, c’est ainsi qu’en 2003 on a vu les personnages d’Uderzo et Goscinny servir de prétextes à la découverte de l’Empire romain, dans l’exposition Astérix et les Romains, et en 2007 ceux d’Hergé, dans l’exposition Au Pérou avec Tintin, au Musée de la civilisation de Québec. Repris d’expositions présentées au préalable au Rijskmuseum de Leyde et au Musée du Cinquantenaire de Bruxelles, les alibis y étaient cependant justement et subtilement exploités pour faire découvrir l’époque gallo-romaine et les civilisations précolombiennes péruviennes. Plus récemment, en 2010, on avait pu voir ce même genre d’expositions itinérantes à grand budget avec l’arrivée de We want Miles au Musée des beaux-arts de Montréal, après qu’elle fut présentée une première fois à la Citée de la musique de Paris. Ici encore, on pouvait trouver une justification à la démarche par la place incontournable qu’occupe Montréal dans l’univers du Jazz.

Cependant, le Musée Pointe-à-Callière franchit une nouvelle étape dans une recherche de l’achalandage à tout crin. Rappelons d’abord que la mission de l’institution se décompose en trois points : d’abord, conserver et mettre en valeur le patrimoine archéologique et historique de Montréal; ensuite, faire connaître et aimer le Montréal d’hier et d’aujourd’hui; et enfin, tisser des liens avec les communautés locales, les réseaux régionaux, nationaux et internationaux préoccupés d’archéologie, d’histoire et d’urbanité. On peut donc largement douter qu’un projet d’exposition qui présenterait « le passage à Montréal [du] groupe mythique anglais qui a révolutionné la musique rock autour de la planète tout en ayant une profonde influence sur les courants musicaux qui ont germé ici même à Montréal et au Québec » réponde à ces principes. Nous assistons en fait à un dangereux glissement de « l’objet-prétexte », celui qui sert de véhicule au profit du discours, vers « l’objet-dérobade », qui permet plutôt de trouver une excuse quelconque avec le coeur même du musée (Montréal et son histoire) pour mieux se soustraire de ses obligations et ainsi augmenter l’affluence.

Cette situation ne pourra malheureusement qu’aller en s’amplifiant tant que la question de la pérennisation du financement des musées ne sera pas réglée. L’an dernier, la Société des directeurs des musées montréalais relevait que les subventions de fonctionnement n’avaient guère évolué depuis 1995. Bien sûr, des efforts importants ont été réalisés sur le plan des infrastructures, mais il reste que le quotidien de nos musées, à Montréal et ailleurs au Québec, demeure dans une précarité inquiétante et vicieuse puisqu’elle pousse à d’autant plus de surenchère commerciale.

Il est donc primordial que les décideurs publics se penchent sur la survie de nos musées en optant pour une vision intégrée de leur développement, sur les plans culturels et touristiques notamment. Sans en faire une condition sine qua non de leur existence, il faut reconnaître leur apport à l’économie générale et préserver leur vocation originelle. En bref, en tant que société, il convient que nous fassions un réel effort de sensibilisation sur les vertus exemplaires d’un réseau de musées dense sur l’ensemble du territoire québécois, pour notre développement économique, notre culture collective originale et la valorisation de nos territoires. Aussi, en faisant nôtre la réflexion de Pierre Bourdieu selon laquelle « il n’est pas de lutte à propos de l’art [et pourrions-nous dire de la culture dans son ensemble] qui n’ait aussi pour enjeu l’imposition d’un art de vivre », nous plaidons donc résolument pour une démarche culturelle à la fois affranchie des contraintes pécuniaires présupposées à courte vue et, par ailleurs, offensive sur la valorisation de notre richesse patrimoniale unique.