« À la prochaine fois »

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Cher Jean-Martin, cher ami,

Tu as fait aujourd’hui le choix de quitter la vie politique pour prendre soin de ceux qui te sont chers. Certains ne comprendront pas cette décision et d’autres peut-être t’accusent déjà de lâcheté. Pour évoluer depuis plusieurs années dans ce milieu et pour en avoir souffert moi-même récemment, je puis dire que la conciliation de la vie politique et de la vie privée est un exercice d’équilibriste qui ne convient guère à ceux pour qui le respect de soi passe avant l’ambition. Voici que tu en fais désormais le constat amer, comme bien d’autres avant toi, et il se pose maintenant la question de la pérennité de la formation politique que tu as initiée il y a près de deux ans.

Dans les heures qui suivaient ton retrait, un magazine parlait donc des orphelins d’Option nationale et de ces quelques milliers de personnes pour lesquels la démarche que tu as entreprise a éveillé une ferveur mésestimée ou trop longtemps contenue. Il serait pourtant faux de croire que tu laisses en chantier ce projet un peu fou. En parcourant le Québec et ses établissements d’enseignement, tu as fait une oeuvre de pédagogie dans laquelle bien peu s’étaient lancés depuis de longues années. Rien que pour cela, pour ces innombrables graines que tu as pris soin de semer avec patience et désintéressement, tu mérites notre plus grand respect.

Comme le disait M. Parizeau à l’occasion du dernier Congrès, Option nationale avait la capacité d’être un levain dans la pâte, c’est-à-dire de révéler un potentiel de croissance jusque-là dormant. En effet, ON est née d’une volonté latente de changer de paradigme sur la base d’une refondation citoyenne fondamentalement participative. D’ailleurs, il n’eut pu avoir de plus bel exemple que le printemps érable pour traduire ce désir de réappropriation du politique par la société civile. C’est pour cette raison que si les indépendantistes québécois ont perdu, à l’occasion de ton départ, l’un de leurs meilleurs porte-voix, il ne faudra pas oublier pour autant que la force de notre projet repose sur le plus grand nombre, qui la structure et la soutient. Cette dialectique entre idées et soutien populaire constitue donc la pierre angulaire du mouvement souverainiste, car ces deux aspects sont à la fois interdépendants, constitutifs l’un de l’autre, et servent l’idéal humaniste. Comme le disait Hugo dans Les Misérables, « au point de vue politique, il n’y a qu’un seul principe, la souveraineté de l’homme sur lui-même. Cette souveraineté de moi sur moi s’appelle Liberté ».

Alors, certes, ton départ pourrait sembler être un coup dur pour tout un pan de la société qui découvrait la politique grâce à ON. En quittant le PQ, tu avais dressé le constat qu’un trop grand attachement à un véhicule partisan pouvait conduire au sectarisme; de la même manière, ne pas réussir à dépasser ce que tu as incarné à ON confinerait à l’idolâtrie. Mais, optimiste, j’ai espoir que ton annonce sera aussi l’occasion recherchée pour que les citoyens s’emparent un peu plus massivement du mouvement renaissant, afin de projeter plus loin cette nouvelle demande de gouvernance.

Jean-Martin, j’ai eu le plaisir de participer, à tes côtés, à la fondation de quelque chose qui nous a dépassés, non sans erreurs parfois, mais toujours avec coeur et honnêteté. Si les aléas de la vie nous ont un peu éloignés ces derniers mois, je continuerai de vouer un respect inestimable pour ton effort désintéressé à cette cause que nous partagions et que nous chérissons encore.

Si j’ai bien compris, tu viens de nous dire « à la prochaine fois » : il y a longtemps que ces quatre mots n’avaient résonné avec autant d’espoir. Bonne continuation et à très bientôt.

La marche d’un peuple : du printemps érable au changement de paradigme

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Texte publié sur Vigile et le Huffington Post et cosigné avec Élisabeth Émond, diplômée de science politique de l’UQÀM, présidente d’Option nationale dans Laurier-Dorion

Il y a un peu plus d’un an débutait ce qui allait devenir l’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu le Québec : le bien nommé « printemps érable ». Cette formule reprise par la presse internationale, en référence aux révoltes populaires qui ont secoué le Maghreb quelques mois plus tôt, ouvrait la porte aux plus grandes espérances.

Comme le disait Antonio Gramsci, « il y a crise lorsque le vieux ne veut pas mourir et que le neuf ne peut pas naître ». Quoique parfois confus dans son expression, ce mouvement a su fédérer des citoyens de toutes générations aux revendications multiples. Pour paraphraser Nietzsche, « atteindre son idéal, c’est le dépasser du même coup » et c’est pourquoi les revendications d’une société complète ont dépassé la seule question des frais de scolarité : cette indignation était latente et ne cherchait finalement qu’une étincelle pour s’éveiller.

Un point de rencontre unique

Le développement durable, en passe de devenir le grand référentiel qui guidera l’action publique des prochaines décennies a sans conteste été le cœur d’une convergence quasi naturelle entre les multiples sphères ayant animé le printemps érable. Ses trois pivots (social, écologie et économie) ont effectivement dessiné les contours d’une mobilisation qui allait marquer l’histoire du Québec.

D’abord, sur le plan social, le mouvement de grève relatif aux frais de scolarité s’inscrivait dans une certaine continuité d’un tremblement social à l’échelle mondiale. Le phénomène « Occupons », de Madrid à Montréal, a contribué aux premiers soubresauts et créé un terrain fertile pour les revendications citoyennes. Ensuite, en réunissant un demi million de citoyens dans les rues de Montréal pour la Journée de la Terre, la société québécoise exprimait une prise de conscience importante. Elle reconnaissait ainsi faire partie d’un écosystème marqué par une complexe codépendance et s’indignait de la façon inadéquate de gérer nos ressources environnementales. Enfin, dans une conjoncture où le système même du capitalisme financiarisé est de plus en plus critiqué, où les médecines rigoristes n’en finissent plus de montrer leurs effets néfastes, la question de la redistribution des richesses est redevenue une exigence. Le printemps érable a alors permis de faire rejaillir de la société civile, mais aussi des partis émergents, un discours économique progressiste et équitable, faisant ainsi taire l’espace d’un moment les discours misérabilistes et alarmistes des « déclinologues » de profession.

Catalyser la convergence des revendications

Ce point de rencontre était une impulsion tout indiquée pour entreprendre un virage qui aurait permis au Québec de se lancer sur la voie d’une nouvelle révolution tranquille. La sociologie politique nous apprend toutefois qu’une crise, si elle est le produit de ce genre de tensions, est aussi révélatrice de la solidité des institutions, c’est à dire des structures sociales en tant que système de relations sociales.

Les associations et syndicats étudiants ont joué un rôle prépondérant dans la mobilisation de la société. Toutefois, comme le mouvement national dépassait la seule question des frais de scolarité, il est vite devenu clair que ces groupes allaient devenir insuffisants pour canaliser l’ampleur de cette grogne aux multiples facettes.

Or, il est plus qu’évident que les deux grands partis historiques québécois, à la fois produits et facteurs de ces mêmes institutions, n’auraient pu relever le défi immense de ce virage qu’en allant à contre-courant de leur nature profonde. Cette ambition dépassait non pas leurs philosophies qui, autant sociale-démocrate que libérale, sont tout à fait louables et fondamentalement humanistes, mais elle dépassait leur mode de fonctionnement et leur rapport au citoyen, qui ne correspondent plus aux réalités et aux exigences de la société contemporaine. Quand les Québécois se sont levés, habités par cet aggiornamento, certains partis n’ont pu répondre présents.

Opérationnaliser le changement de paradigme

Tant que les partis politiques québécois baseront leur gouvernance sur le modèle technocratique désuet des Trente glorieuses, le Québec ne parviendra pas à se sortir de ce paradigme, dans lequel pourtant il ne se reconnaît plus. Tant que les prises de décisions ne composeront pas avec une refondation citoyenne participative, cette démocratie étouffera, encore, parce que confisquée.

Ainsi, nous pensons qu’il faut essentiellement deux évolutions au mode de gouvernance contemporain pour que puisse enfin émerger cette mutation, fortement revendiquée l’an passé, et rendue nécessaire par les impératifs du 21e siècle. Ces changements permettront, d’une part, d’activer le transfert de paradigme et, d’autre part, d’en assurer la pérennité sur le plan de nos institutions démocratiques.

Premièrement, la réappropriation du politique par la société civile est nécessaire. Si la mobilisation fut certes un élément prometteur pour un changement politique au Québec, elle est loin d’être suffisante. Ce mouvement doit maintenant s’accompagner d’une maîtrise et d’une compréhension de l’appareil politique. Le contraire supposerait que, de façon un peu hypocrite, on prétende opérer un changement majeur dans le mode de gouvernance de l’État sans jamais aller sur le fond de la chose. Ainsi, la pédagogie et l’éducation populaire seront des leviers primordiaux à une transformation en profondeur.

Deuxièmement, la mise en place d’une réforme devra impliquer un modèle de démocratie participative de standard élevé, visant ainsi à renouer avec les fondements de la démocratie moderne liée à la reddition de compte. Plus que le slogan galvaudé que l’on brandit trop souvent, il s’agirait donc là du plus fidèle garant d’un processus qui vise à redonner confiance en l’État de droit et à se réapproprier les sphères de pouvoir. Si certains acteurs prétendent s’inscrire dans un nouveau mode de gouvernance, ils devraient être en mesure de proposer concrètement une manière de « faire de la politique autrement », sans quoi leur discours ne servirait au final qu’à masquer un conservatisme méthodologique.

Changer la société, certainement, mais il serait aussi illusoire, pour ne pas dire contre-productif, d’espérer y parvenir en évoluant à sa marge. À cet effet, les conséquences de la crise économique qui s’étend à travers le monde nous rappellent la dangerosité de ceux qui prétendent « faire de la politique autrement » en s’exonérant des règles démocratiques, sous prétexte des vicissitudes passées.

La Révolution tranquille est restée inachevée parce qu’elle n’a pas su remettre en cause le confort de notre indifférence. Le printemps érable est en passe de subir le même sort si les discours ne s’accompagnent pas du cheminement évoqué ici. Qui veut réellement changer la société doit savoir pour quoi et comment le faire. Alors, de l’air pour le Québec moderne!, le printemps revient. Ne reste plus qu’à chacun de nous d’incarner ce changement jusqu’à ce qu’il s’enracine réellement dans un Québec devenu moderne. La révolution civique est la clef du plus grand projet collectif qui soit : la formation d’une nouvelle Cité libre.

Et la richesse sociale du diplôme?

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Texte publié dans l’édition du 3 mai 2012 du quotidien Le Devoir

L’argumentaire pour la hausse développé hier dans les pages du Devoir par un certain nombre de personnalités réduit les diplômes à leur apport économique individuel. Il passe complètement à côté des avantages économiques et sociaux collectifs de l’accès universel à une éducation de qualité. Dans un pays riche et développé comme le Québec, la question des droits de scolarité n’est jamais une question de faisabilité. C’est une question de répartition de la richesse et de choix politique.

Il faut le dire : la force économique du Québec-pays permettra de se doter d’un système scolaire gratuit, alors que la marge budgétaire du Québec-province permettrait tout de même un gel des droits de scolarité. Nous refusons l’argument de la « juste part ». Est-il juste de demander à l’étudiant de payer avant même de devenir un contribuable, le forçant à travailler pour faire ses études, une part qu’il pourra rendre au centuple plus tard en payant, grâce à son éducation, plus d’impôts que la moyenne, au bénéfice de l’ensemble de la société ?

La fixation canadienne

On nous ressasse la comparaison avec le Canada et les États-Unis, espérant que le Québec puisse les imiter. On reste les yeux rivés sur l’Amérique du Nord, en oubliant nos amis mexicains qui jouissent de la gratuité scolaire. Le discours économique vante la mondialisation, mais pour le financement de l’éducation on devient myope, restreint au modèle canado-étatsunien. On cite rarement les modèles de faibles droits de scolarité et de gratuité. Outre le Mexique, dans plusieurs pays d’Europe, l’université y est gratuite ou moins chère qu’ici. C’est le cas de la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark ; bref, tous les pays nordiques, les plus avancés socialement et économiquement de la planète, auxquels s’ajoutent entre autres la République tchèque, la France, la Belgique, l’Autriche, la Suisse, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. En cette époque, s’arrêter à cette proximité géographique relève presque d’une forme de repli sur soi.

La hausse des droits est réductrice de plusieurs façons, même sur le plan économique, car axée sur l’individu et le court terme. De plus, la comptabilité économique a ses limites. Quand des esprits bien formés mettent de l’avant des politiques contre l’intimidation ou la maltraitance, il y a là la poursuite d’un mieux-être collectif qui vaut plus que de l’argent.

Une vision économique d’ensemble consisterait plutôt à mieux situer le budget de l’éducation dans celui du Québec tout entier. Plusieurs sources de revenus du Québec sont possibles pour financer les collèges et les universités, dont les redevances sur les mines, comme il se fait ailleurs dans le monde.

… et la myopie provincialiste

Le problème du sous-financement des universités ne doit pas faire abstraction du cadre fédéral. On oublie trop souvent qu’il provient essentiellement des coupes des transferts fédéraux à l’éducation depuis 1994-1995, transferts payés d’ailleurs par nos impôts. Mais après ces compressions, Ottawa a préféré utiliser notre argent pour s’ingérer dans le champ de l’éducation, sans tenir compte des responsabilités des provinces (Bourses du millénaire, Fondation canadienne pour l’innovation, chaires de recherche du Canada).

Ces transferts directs aux personnes ont un impact sur le budget du Québec et sur celui des collèges et des universités, en les forçant à payer des subventions d’appariement, des frais indirects, des achats de matériel et de services d’entretien des laboratoires au soin du Québec.

Le régime fédéral accentue ainsi un déséquilibre fiscal qui nous coûte plus de 800millions par année en créant ce mal-financement. Il y a là amplement de quoi refinancer les universités. Avec les quelque 4,5milliards que représentent les coûts de la défense par année pour le Québec, le choix de l’indépendance se pose clairement dans le dossier de l’éducation comme dans bien d’autres.

Pour la démocratisation du savoir

Peut-on se permettre de revenir à l’époque où les riches étaient les seuls à avoir accès aux études ? Les meilleurs emplois sont le fruit d’innovations technologiques. Ils exigent une formation de pointe. Notre meilleure arme dans la mondialisation demeure l’éducation et la formation d’une main-d’oeuvre spécialisée, seul rempart contre les délocalisations.

Avec son Plan Nord, Jean Charest veut confiner le Québec à l’exportation de matière première. L’avenir est à l’économie du savoir et à de solides secteurs secondaire et tertiaire. Mais notre gouvernement provincial refuse ce levier qu’est l’éducation et abdique sur l’accès aux études comme sur la transformation locale des ressources du Nord.

Il fait la leçon aux étudiants, mais ne prend pas les moyens budgétaires et politiques pour amener Québécois et Québécoises vers une économie plus compétitive mondialement, plus productive économiquement et socialement.

 

Ont signé ce texte : Angèle Richer, Siegfried L. Mathelet et Gilbert Paquette, appuyés par André Binette, Jocelyne Couture, Micheline Labelle, Andrée Lajoie, Florent Michelot, Ercilia Palacio, Pierre Paquette, membres du CA des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO).