L’insupportable tentation de museler le travail du parlementaire

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Texte cosigné avec Kévin Neuville et publié dans l’édition du 10 janvier 2013 du quotidien Le Devoir sous le titre « Monsieur Drainville, ne punissez pas les vire-capot! »

On apprenait mercredi que le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, réfléchissait à la possibilité de mettre en place des dispositions visant à freiner les ardeurs de ceux que l’on a coutume d’appeler, de façon bien peu élégante, les transfuges politiques, voire les vire-capot. Cette réflexion confine à l’échec pour trois raisons qui tiennent de la tradition démocratique, du fondement juridique et, enfin, du simple bon sens.

Une marge de manoeuvre

Concernant le premier aspect, nos sociétés occidentales ont fait le choix de la représentativité. Elles ont rejeté le principe de ce qui a été qualifié de « mandat impératif ». Le philosophe Jean-Jacques Rousseau avait évoqué l’idée d’élus contraints par un mandat. Dans la logique de Rousseau et du « mandat impératif », ceux-ci ne pouvaient donc être des « représentants » du peuple ; ils n’en étaient que des « commissaires ». Les députés de notre système représentatif disposent au contraire d’une marge de manoeuvre qui leur permet de ne pas être aliénés. Sinon, l’assemblée ne serait plus qu’un lieu d’échanges de positions déjà exprimées et, par définition, inamovibles. Dans un régime représentatif, l’assemblée peut devenir l’outil indispensable visant à l’émergence du consensus dans l’intérêt de la nation. La qualité des débats et la capacité d’argumentation et de persuasion qui en résultent permettent des évolutions, des cheminements, qui peuvent alors naturellement se traduire par l’évolution philosophique puis partisane d’un représentant élu. En outre, l’élu n’ayant pas vocation à représenter de façon sectaire ses quelques points de pourcentage glanés le jour d’une élection, son mandat est de représenter toute la population de sa circonscription, incluant donc ses adversaires, auxquels il doit s’ouvrir en dépit de divergences. En bref, on voit clairement que le rôle d’un député ne saurait être cantonné à celui de béni-oui-oui. En dernier lieu, il pourrait aussi être utile de rappeler brièvement que la naissance des partis politiques s’est notamment réalisée dans un objectif de mutualisation des moyens, afin que chaque citoyen puisse se présenter à une élection sans être titulaire personnellement de quelques capitaux que ce soit. Au risque de dénaturer profondément le jeu partisan, on ne saurait donc borner la liberté intellectuelle et philosophique de l’élu par un outil d’émancipation vis-à-vis des capitaux fortement perverti.

L’individu d’abord

Vient ensuite l’argument selon lequel le député, élu sous une quelconque bannière, trahirait la confiance de ses électeurs et de sa formation politique en rejoignant un autre parti. Il faut se rappeler que notre système électoral ne fait pas la part belle aux partis dans le processus électoral. L’idée pourrait avoir du sens dans l’hypothèse d’un scrutin proportionnel de liste où les citoyens voteraient pour une équipe soudée représentant une communauté de vue et d’action. Or, dans un scrutin uninominal comme le nôtre, les électeurs apportent leur soutien à un individu, libre, qui se reconnaît au moment de l’élection dans une formation politique qui, en contrepartie, accepte de lui apporter son soutien. C’est d’ailleurs pourquoi les partis sont invités à reconnaître l’affiliation partisane d’un candidat pour que celui-ci puisse s’afficher. Ceci étant, à l’exception d’aspects administratifs tels que les dépenses électorales, à aucun moment notre loi électorale n’accorde plus d’importance aux partis dans la question des candidatures. Le mode de désignation des candidats est une question tout à fait interne aux partis et qui ne concerne guère ceux qui ne souhaitent pas y prendre part. Qu’il y ait pu avoir des assemblées d’investiture de militants n’a donc pas à entrer en ligne de compte. Tout au plus, cela relève donc de la seule éthique personnelle de l’élu et du respect de sa parole donnée, mais n’est pas justifié par un quelconque détournement de la loi ou de son esprit.

Des positions qui évoluent

Enfin, de simples éléments de sens commun méritent d’être rapidement évoqués. Le ministre part du postulat qu’un parti politique dispose d’une ligne de conduite claire, prévue par sa plateforme et prévisible dans son application. Mais comme toutes les organisations, les partis sont soumis à des lignes de force qui fluctuent à un moment ou un autre. En clair, un élu peut donc aisément, en l’espace de quelques mois, passer de l’adhésion à l’inconfort le plus total dans une formation. Que le parti et l’élu aient divergé après l’élection, pour quelque raison que ce soit, n’a pas à remettre en cause le lien de confiance qui a pu s’établir entre un candidat et ses commettants au moment du scrutin. Surtout, on sait que les circonstances politiques peuvent être tout à fait labiles à certaines périodes de l’Histoire ; l’échec des accords du lac Meech au début des années 1990 l’illustre bien. Advenant de grands bouleversements, des accélérations formidables des événements, il serait tout à fait absurde de nier que l’élu ou son parti puissent évoluer dans leurs positions. Et, après tout, que l’on préfère que l’élu siège en tant qu’indépendant d’ici la prochaine élection ou qu’il rejoigne formellement un nouveau groupe parlementaire, cela ne changerait que peu de choses dans le fond des débats, car ce que l’équipe ministérielle conteste ici au premier chef, c’est le changement d’étiquette partisane, ce qui ne nous semble guère être une priorité si l’on souhaite lutter contre la méfiance vis-à-vis des institutions.

Il n’est pas de notre volonté de nier la volonté réelle et probablement sincère de M. le ministre Drainville de dépoussiérer notre démocratie. Son travail, à ce jour, est remarquable. Malheureusement, il semble être teinté de la même candeur qui l’avait conduit à suggérer que le premier ministre soit élu au suffrage universel, en dépit de toute logique dans l’équilibre des pouvoirs au sein d’un régime parlementaire dit « système de Westminster ». Si la réflexion qu’il a introduite relève de l’impérieuse nécessité, elle mérite bien plus que quelques ballons d’essai.

Réformes démocratiques – Des tentatives étouffées par le cadre canadien

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Texte publié dans l’édition du 30 décembre 2011 du quotidien Le Devoir

Plusieurs projets de réforme des institutions politiques québécoises ont été mis de l’avant au cours des dernières années. Ces projets sont l’œuvre de membres de certaines formations politiques ou de groupes de citoyens qui militent au nom de leurs idéaux démocratiques et qui désirent contribuer à une revitalisation de notre démocratie. Ces initiatives, qui sont fort louables, vont d’une réforme du mode de scrutin à des élections à date fixe, en passant par l’élection du premier ministre au suffrage universel, les référendums sur initiative populaire, la possibilité de destituer les députés au cours de leur mandat ou la convocation d’une assemblée constituante.

Ces propositions procèdent souvent d’une méconnaissance des limites du cadre constitutionnel canadien qui a été imposé au Québec et dans lequel il est enserré. Nous partageons en effet avec les dictatures et les colonies la pire des atteintes à la démocratie, celle de pas avoir conçu ni approuvé la constitution qui nous régit. Or, il se trouve que certains projets de réforme s’inscrivent dans ce cadre constitutionnel tandis que d’autres sont incompatibles avec lui.

Dans tous les cas, on semble réfléchir comme si ces limites n’existaient pas ou comme si elles étaient plus souples qu’elles ne le sont en réalité. Ignorer ces limites, c’est courir le risque de s’épuiser pendant des années à tenter de réaliser des projets qui ne peuvent pas aboutir sans passer à la souveraineté ou, s’ils aboutissent dans le cadre actuel, de s’exposer à ce qu’ils soient contrecarrés par les tribunaux canadiens.

Compétence limitée

Ainsi, on peut affirmer que si une constitution interne formelle de la province de Québec n’a pas encore été adoptée malgré le fait qu’elle a été proposée sérieusement à de nombreuses reprises, c’est que la nécessité de la subordonner à la Constitution canadienne obligerait à reconnaître celle-ci, renforcerait le statu quo et priverait ce projet qui se veut mobilisateur d’une grande partie de son intérêt. La compétence accordée à une province par la Constitution du Canada de modifier sa propre constitution est très limitée; elle est beaucoup moins étendue que d’aucuns semblent le croire ou l’espérer.

Plusieurs projets de réforme gagneraient en crédibilité ou en pertinence si l’on gardait à l’esprit les limites constitutionnelles actuelles. D’autre part, la prise de conscience de ces limites est un argument fort en faveur de l’indépendance du Québec. Il paraît utile de mieux situer ce débat en rappelant certaines données fondamentales du droit constitutionnel canadien.

La démocratie directe n’existe pas en droit canadien

Au début du XXe siècle, l’Assemblée législative du Manitoba avait adopté une loi par laquelle elle avait renoncé à sa compétence législative en faveur d’une démocratie directe exercée par les citoyens dans des référendums d’initiative populaire. Cette loi fut déclarée inconstitutionnelle parce qu’un parlement dans un régime politique de type britannique ne peut abdiquer sa fonction législative ni la transférer à une autre assemblée. C’est pour cette raison que les référendums ne peuvent pas être décisionnels en droit canadien et que les législateurs et les tribunaux sont libres d’en interpréter la portée.

Assemblée constituante québécoise

Une assemblée constituante québécoise serait par définition inconstitutionnelle si elle prétendait être décisionnelle, passer outre à l’Assemblée nationale et ignorer le cadre constitutionnel canadien. Ses décisions ne pourraient être effectives que si la souveraineté était réalisée. Elle pourrait siéger, délibérer et adopter des textes avant le passage à la souveraineté, mais ceux-ci n’auraient aucune valeur juridique dans le cadre de la Constitution canadienne.

Impossible d’abolir la monarchie constitutionnelle

On sait que pour abolir la monarchie, il faut l’unanimité des dix provinces et du Parlement fédéral selon la Loi constitutionnelle de 1982. Les fonctions de gouverneur général du Canada et de lieutenant-gouverneur du Québec ne peuvent donc être abolies avant l’accession du Québec à la souveraineté. Quelle que soit son ampleur, aucune réforme de nos institutions politiques dans le cadre canadien ne permettrait de remplacer le lieutenant-gouverneur, qui est nommé par le gouvernement fédéral et dont la signature est une condition incontournable de la validité de toutes les lois du Québec en droit canadien.

Impossible d’abolir le régime parlementaire de type britannique

La monarchie canadienne n’est pas qu’un symbole vain et coûteux. Juridiquement, elle sert de fondement au principe du gouvernement responsable qui est au coeur de notre régime parlementaire. C’est ce qui se dégage clairement d’un jugement de la Cour suprême rendu en 1987 dans l’affaire SEFPO c. Ontario.

Des conséquences

Il découle plusieurs conséquences importantes de ces limites constitutionnelles à la réforme des institutions démocratiques au Québec:

Les élections à date fixe sont légales, mais un parlement doit exceptionnellement pouvoir à tout moment renverser un gouvernement et provoquer des élections prématurées, car le principe du gouvernement responsable est de nature constitutionnelle.

L’élection d’un premier ministre au suffrage universel, qui serait en réalité un premier pas vers un régime présidentiel, serait juridiquement impossible dans le cadre canadien, car ce régime est incompatible avec le principe du gouvernement responsable devant le parlement. Dans un régime présidentiel, le gouvernement doit directement répondre de ses actes devant le peuple, et non devant l’Assemblée nationale. Par ailleurs, «ce président» ne pourrait remplacer le lieutenant-gouverneur dans la nomination des ministres ou la signature des lois.

La «ligne de parti» si souvent dénoncée par des parlementaires de tous les partis et par de nombreux citoyens est elle-même issue du principe du gouvernement responsable, car celui-ci implique que l’existence du gouvernement repose sur la confiance du parlement, confiance qui est «fabriquée» par la discipline partisane. Cette ligne de parti, qui pourrait être assouplie considérablement dans un régime présidentiel, est dans les faits imposée par le cadre constitutionnel canadien et est inhérente au parlementarisme de type britannique protégé par la Loi constitutionnelle de 1982; elle ne peut donc être assouplie qu’à la marge.

Le principe général établi par la Cour suprême en 1987 selon lequel elle verrait d’un mauvais oeil toute création d’institutions politiques étrangères et incompatibles avec le système canadien l’amènerait probablement à condamner une réforme du mode de scrutin qui adopterait une proportionnelle intégrale, par opposition à une réforme mitigée qui ne corrigerait que les distorsions les plus criantes de la volonté populaire engendrées par le mode de scrutin actuel.

Ces limites au pouvoir constituant québécois fixées par la Cour suprême du Canada sont peu connues et ne font que rarement partie de la réflexion politique actuelle. Il faut les avoir à l’esprit avant de proposer de bonne foi des réformes qui, comme de très nombreuses autres, risquent d’aboutir dans le cimetière bien rempli des idées politiques. Seule la souveraineté du Québec donnera au peuple québécois la pleine capacité d’innover, d’approfondir sa démocratie et de se donner des institutions qui seront entièrement légitimes à ses yeux.

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Ce texte à l’initiative d’André Binette ,Avocat et appuyé par le conseil d’administration des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO): Jocelyne Couture, Micheline Labelle, Andrée Lajoie, Siegfried Mathelet, Gérald McNichols-Tétreault, Ercilia Palacio-Quintin, Gilbert Paquette, Vladimir De Thézier, Jean-François Payette, Alexandre Warnet.