Texte publié dans sa version légèrement raccourcie dans l’édition du 26 juin 2014 du quotidien Le Devoir
Texte collectif à l’initiative de membres de l’exécutif de la COLUFRAS :
- Rémy Trudel, président et professeur à l’ENAP
- Diane De Courcy, vice-présidente à la recherche
- Florent Michelot, secrétaire général
Un peu plus tôt cette semaine, l’Institut du nouveau monde, l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) ainsi que la Confédération des syndicats nationaux (CSN) organisaient le Premier rendez-vous national sur l’avenir du système public de santé et de services sociaux. À cette occasion, les participants de cette initiative avaient l’opportunité de réfléchir, collectivement, sur les défis de nos systèmes publics quant au financement, à la gestion et, finalement, aux prestations fournies aux citoyens. Ces échanges, aussi riches qu’indispensables, constituent une ébauche de réponse porteuse d’avenir à des préoccupations qui intéressent directement la plupart des pays et, singulièrement au sein de l’OCDE.
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Être « riches » collectivement ne suffit plus pour être en bonne santé
La révolution interventionniste du siècle dernier a été un gain indéniable pour nos sociétés quant à la santé de nos concitoyens : un enfant né en 2000 avait ainsi une espérance de vie supérieure de neuf années vis-à-vis de son aîné né en 1960; surtout, la mortalité infantile a été divisée par cinq au sein de la même période. Tandis que les dépenses publiques dans le domaine augmentaient rapidement, ces quelques données, et bien d’autres sur lesquelles nous pourrions longuement nous étendre, indiquent indubitablement que ces gains formidables pour la santé publique n’auraient pu être acquis sans l’engagement massif et enthousiaste des communautés nationales.
Faut-il en déduire que la corrélation entre la dépense (publique ou privée d’ailleurs) et la santé des citoyens est parfaite? Certainement pas. D’abord parce que l’on sait que les États-Uniens, premiers investisseurs per capita en santé dans le monde, sont largement relégués quand il s’agit d’évaluer leur performance dans le domaine. Ensuite, jusqu’à un certain point, il ne suffit plus d’être « riches » collectivement pour être en bonne santé. La meilleure preuve en est le fait qu’en dépit de PIB relativement proches, les Japonais vivent en moyenne cinq ans de plus que les états-uniens alors même que l’espérance de vie était pourtant plus élevée à la base chez ces derniers.
La réponse par le seul investissement massif devient d’autant moins adéquate que les coûts de santé ont tendance à croître plus vite que le PIB. À l’instar du CIRANO, plusieurs véhiculent ainsi des inquiétudes quant à la pérennité du système actuel, surtout si le même modèle hospitalo-centré ne change pas. Et dans ce panorama, le cas de la rémunération des médecins spécialistes qui bénéficieront, en 2014, d’une augmentation de 67 % par rapport à 2008, sans contrepartie évidente et sans autre forme de discussion, est alors tout à fait symptomatique : dépenser plus n’est pas synonyme de gain de productivité ou d’efficacité au profit de la population.
La misère sociale a aussi un coût
A contrario, les dynamiques économiques récentes ont imposé dans l’espace public l’idée que l’intervention de l’État serait nuisible. Or, ce postulat, paradoxalement, ne repose sur rien. Le démantèlement de certains services publics, comme l’ont connu plusieurs pays notamment en Europe, en a amplifié au contraire certains effets délétères. À cet effet, réduire la dépense en santé est néfaste, car elle pousse les populations à concentrer son pouvoir d’achat sur le nécessaire à court terme : remplir son panier d’épicerie et se loger… au risque d’en négliger sa propre santé. On sait ainsi qu’au Canada les deux quintiles de population aux plus faibles revenus correspondent à 55 % des dépenses de santé selon le Centre d’étude sur la pauvreté qui évalue par ailleurs le coût de la pauvreté à 17 M$ au Québec.
Les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman l’ont expliqué, les coupures massives sont des vecteurs de stagnation voire de décroissance. Même le Fond monétaire international qui s’était fait l’apôtre de cette tendance le reconnaît aujourd’hui : l’austérité est une erreur de calcul. La pauvreté constitue une charge pour la santé publique et l’ensemble des services gouvernementaux et donc sur les budgets des États.
Une alternative existe, elle est au plus proche du citoyen
La COLUFRAS, travaillant depuis de nombreuses années avec ses partenaires du monde entier, a noté la fascination qu’a pu exercer le modèle de santé québécois auprès des lusophones notamment. Le changement de paradigme de l’hospitalo-centrisme vers la médecine familiale a toutefois été incomplet au Québec. Alors que nous mettions en place quelque 250 Groupes de médecins de famille, le Brésil organisait environ 30 000 équipes de santé familiale et le Portugal en compte déjà plus de 350 en activités depuis 2006 et des centaines d’autres sont en voie d’ouverture.
Et le problème n’est pas que quantitatif. En effet, plusieurs expériences internationales ont démontré la pertinence de ces ressources de santé familiale dans une optique décentralisée et pluridisciplinaire. À cet égard, le portrait des Unités de santé familiale portugaises est fascinant : attente limitée à 20 minutes, délai maximal de cinq jours pour un rendez-vous, parité obligatoire entre médecins généralistes et infirmières, participations actives de ces dernières au suivi médical des patients, soutien administratif de techniciennes médicales spécialisées, autonomie de gestion, présences fréquentes et régulières de spécialistes à la cliniques… et mêmes entretiens téléphoniques aux trois mois avec les patients dont on aurait eu de nouvelles! Au final, l’activité médicale portugaise a donc déplacé son centre de gravité vers une relation longitudinale entre le médecin et patient, tout en renforçant la « citoyenneté médicale » en faisant participer les uns et les autres au processus décisionnel, un constat qui n’est pas sans rappeler les municipalités brésiliennes dont les élus sont aussi responsables, et donc imputables, quant à la santé de leurs concitoyens.
Bien sûr, le modèle portugais n’est pas pour autant exempt de problèmes (par exemple, le système hospitalier est lui très perfectible), mais, en permettant un suivi sur le temps long des patients et en favorisant la promotion des bonnes habitudes de vie, il a contribué à endiguer voire réduire certaines dépenses : en terme de médicaments ou d’examens complémentaires à fins de diagnostics, certaines unités ont permis des baisses substantielles de dépenses de 15 à 20 % dès leur implantation, soit des millions d’euros à l’échelle des districts.
Et cette perspective n’est pas la seule, puisqu’une refondation du financement de notre système de santé par l’économie sociale (elle aussi participative et égalitaire), et singulièrement le mutualisme, peut aussi faire partie de ces options à évaluer. Nous avons ainsi vu cette semaine que le Mouvement Desjardins apparaît au 2e rang du classement des banques les plus solides au monde selon l’agence de presse financière Bloomberg. Être plus forts en étant unis : voici un exemple puissant du potentiel du tiers-secteur québécois dont la vertu est de prioriser l’intérêt de ses membres, plutôt que de répondre aux seules considérations marchandes. Dans ce domaine, plusieurs mutuelles d’économie sociale étrangères ont donc largement contribué à rationnaliser les coûts de santé sans impacter négativement les prestations, en mettant l’accent notamment sur la prévention de ses sociétaires ou en créant des coopératives de médecins spécialistes par exemple.
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On le voit, notre modèle de gouvernance de la santé, s’il est à l’heure des choix, n’est donc pas dans une impasse. En renforçant l’inflexion donnée il y a quelques années autour des GMF, tout en évitant de tomber dans le même écueil que sont les grosses structures, une avenue viable, c’est-à-dire pérennisable, économe, donc respectueuse des contribuables, et empathique, car soucieuse des moins fortunés et des plus faibles, est donc à notre portée. De la même manière que certains pays ont su regarder vers le Québec lorsqu’il a s’agit de déployer rapidement et efficacement un réseau de santé, il nous revient donc, maintenant de nous inspirer d’expériences étrangères de pays qui partagent cette vision originale de la solidarité nationale, une solidarité qui garantit l’universalité des soins, sans condition de ressources.