La Politique de gestion contractuelle (PGC) a-t-elle suffisamment de mordant?

Par défaut

Logo de CIBLChronique hebdomadaire à La Matinale de CIBL 101,5 Montréal

Le comité exécutif a présenté le 16 août dernier les modifications à sa Politique de gestion contractuelle (PGC), visant entre autres à prévenir les tentatives de collusion dans l’attribution de contrats par la Ville et d’imposer de plus lourdes conséquences pour ce type d’infraction. Je passe ici en revue les différentes règles qui ont été adoptées afin de donner plus de mordant au contrôle a priori et a posteriori… et ce qu’il manque!

« Le vrai pouvoir, c’est la connaissance »

Par défaut

Il serait donc désormais avéré que l’Institut de la statistique du Québec mettra sous peu la hache dans son site hébergeant la Banque de données des statistiques officielles sur le Québec (BDSO). Après le démantèlement, au bout du compte, de la vocation de recueil de données sérieuses de Statistique Canada par l’abandon du questionnaire long de recensement, c’est évidemment une détestable nouvelle pour la prise décision éclairée. Une de plus.

D’abord, sur la forme, puisque les données recueillies par l’ISQ sont le produit de l’administration et sont financées à même les contributions de tous les citoyens, il y a lieu de s’interroger sur une décision qui va à l’encontre du mouvement général de libération des données. Les données de l’ISQ ne comportent rien qui puisse compromettre la raison d’État et ne contiennent pas plus de données confidentielles qui mettraient à mal la vie privée des Québécois. Afin d’illustrer ce repli à contre-courant, citons notamment le classement Global Open Data Index, produit par la World Wide Web Foundation, qui a ainsi rétrogradé le Canada de la 12e à la 22e place mondiale en ce qui concerne l’ouverture des données au public, entre 2013 et 2014. Rien à voir donc avec les prétentions de « Gouvernement ouvert » formulées par l’exécutif actuel.

Ensuite, et surtout, il y a lieu de dénoncer les conséquences désastreuses de cette décision. Le fait d’envisager de faire payer le demandeur pour accéder aux données procède de cette même lente marche vers la conception mercantile du rôle de l’État où ce dernier traite les citoyens comme des usagers ou pis, des clients. En outre, cette résolution conforte la mécanique anti-intellectuelle d’une partie des acteurs de notre scène politique. Se confortant dans le culte du « gros bon sens », on voudrait nous faire croire qu’il est inutile de développer une pensée nuancée et argumentée puisque la pensée magique de l’évidence coulerait de source. Malheureusement pour eux, la réalité est plus complexe et c’est justement ce que l’accès libre aux données de l’ISQ nous permettait d’effleurer. On connaît la justesse du bon mot de Francis Bacon, l’un des pères de la méthode empiriste : « le vrai pouvoir, c’est la connaissance ». Universitaires, associations, partis politiques, chercheurs indépendants ou acteurs économiques : en tuant la BDSO, le gouvernement vient désarmer ceux qui auraient l’outrecuidance de vouloir discuter (la disputatio) le discours ambiant.

Non à une révolution de palais!

Par défaut

Texte publié dans l’édition du 10 juin 2015 du quotidien Le Devoir

À quoi bon avoir des règles internes si un citoyen, aussi méritant soit-il, peut prendre le contrôle d’un appareil partisan, comme il ravirait un sceptre, sans même que cela ne pose de questions de démocratie interne ? Les statuts et règlements, ce n’est pas une simple question d’intendance, c’est l’outil qui garantit la pérennité de l’association volontaire d’individus éclairés, sur la base d’une organisation librement consentie.

Alors que le cynisme à l’égard de la classe politique et la défiance vis-à-vis des institutions ravage les démocraties occidentales depuis plusieurs décennies, les expériences populaires qui fleurissent à travers le monde devraient pourtant être un phare pour nous tous, militants ou non. Pour paraphraser Tocqueville, les moeurs politiques changent, car « dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau ». Par l’adhésion qu’elles emportent, ces expériences populaires témoignent en creux du fait que l’ancienne manière de faire de la politique est morte et qu’un souffle nouveau doit jaillir dans l’arène politique.

Le Bloc québécois n’a rien de Buckingham Palace. M. Duceppe a une place majeure dans le mouvement souverainiste contemporain, mais rien ne justifie qu’il bénéficie, tel un monarque de droit divin, d’un quelconque droit de préemption sur la cause qu’il défend à Ottawa. Surtout, ce retour n’augure rien de bon quant à l’absence d’aggiornamento et même d’autocritique après la lourde défaite de 2011. Et ce n’est certainement pas le « pardon » accordé au Québécois à l’égard de la vague orange qui arrangera les choses.

Aussi, devant les défis électoraux qui arrivent à grands pas, le Bloc québécois doit garantir le parallélisme des formes afin d’accréditer la légitimité de son principal porte-parole. Les technologies de l’information accordent aujourd’hui suffisamment de latitude pour pallier cet impondérable. Pour ce faire, le minimum serait que le Bloc propose un vote de confiance électronique à ses militants.

Monsieur

Par défaut

Les disparus ne sont pas faits pour être pleurés, mais pour être continués. Par milliers, nous reprendrons le flambeau de « Monsieur » Parizeau, l’Homme d’État à la stature hors-norme, le combattant à l’écoute constante de ses concitoyens et le pédagogue à l’humilité désarmante.

De ma poignée de modestes rencontres, me reviennent ces quelques mots, comme un encouragement au progrès par l’élévation de l’esprit : « jeune homme, ne mésestimez pas votre intelligence et celle de votre génération ».

Le 7 avril 2014, et après ? Affronter les idées, sans affront à l’indépendance

Par défaut

Entrée libreLettre publiée dans l’édition de juin du mensuel communautaire sherbrookois Entrée Libre

De mai 2011 à avril 2014, le mouvement indépendantiste a connu deux défaites cinglantes. Prises sur le temps long, ces deux résultats tendraient, selon certain, à confirmer le déclassement durable du mouvement indépendantiste. En effet, hormis l’occasion de l’élection de 2012 — à appréhender d’ailleurs dans un contexte extraordinaire de crise sociale — le Parti québécois n’a plus été le parti préféré des Québécois depuis 1994.

Est-ce à dire que l’échec des deux principaux véhicules prétendant au monopole du discours indépendantiste traduit par lui-même l’échec d’un mouvement, de son idée, de l’espoir qu’il entretient ? Certainement pas, car si l’échec discursif autant que stratégique est réel, l’Histoire démontre que bien des mouvements populaires se sont relancés en renouvelant leurs approches.

L’Union, une fin en soi ?

« Unité ! », crient encore certains, comme une incantation divinatoire pour ainsi éviter de penser. Depuis son origine, l’indépendantisme contemporain est pourtant parcouru de deux grandes tendances, progressiste ou conservatrice, que rarement les hiérarques souverainistes ont su authentiquement fédérer. Certains se revendiquent de la première, car la Gauche porteraient en elle la volonté de dépassement de l’ordre établi, volonté découlant elle-même de l’idée que rien ne peut résister aux progrès de l’esprit humain. Les seconds expliqueront leur attachement au projet national sur la base d’autres raisonnements propres à la préservation de l’identité. Ils ne sont probablement pas nécessairement moins valides, mais seraient plutôt complémentaires, puisqu’ils attaquent par leurs raisonnements certains angles morts des discours de gauche.

Cette pluralité d’analyses, quoi qu’il en soit, est souhaitable et, contrairement à ce que laisse penser le paysage politique, ce point de vue est largement partagé parmi bien des indépendantistes de tous bords. Ainsi, contrairement à la fausseté répandue de façon intéressée que Québec solidaire pose des conditions à l’indépendance, on doit enfin accepter de voir dans le parti de gauche la volonté légitime d’inscrire la démarche indépendantiste dans un courant qui rejoindra mieux les aspirations de certains. De la même manière, la nature de l’Action démocratique du Québec, dans ses premières années, correspondait à cette réalité. Cela ne l’a pas empêché de souscrire à la campagne du Oui en 1995.

Vers la reconnaissance d’un mouvement pluriel

Quid, dans ce cas, du Parti québécois né de cette volonté ambitieuse de fédérer les forces indépendantistes dans une seule et même organisation ? Historiquement, la méthode a été privilégiée, notamment en considération du système électoral dans lequel nous évoluons. Ceci étant, cette approche n’est pas indépassable. Étant donné les résultats très nuancés de cette stratégie partisane depuis 1968, il n’est d’ailleurs pas illogique qu’elle soit légitimement remise en cause. Aussi, s’il est clair que le mouvement indépendantiste est pluriel et que cette pluralité constitue une richesse, il faudra bien accepter un jour ou l’autre que, de façon organique, la tendance à sa nucléarisation est inexorable. Il est en fait ridicule de considérer que des votes puissent se diviser ou s’additionner comme des marchandises lors d’un inventaire d’épicerie.

Le choix des électeurs est plus complexe : premièrement, plusieurs études amènent à considérer que leur comportement dans l’isoloir est déjà très fortement conditionné par l’intériorisation du mode de scrutin en vigueur ; deuxièmement, les transferts de voix d’un « tiers parti » au PQ, notamment, ne seraient pas si automatiques et l’on pourrait supposer qu’à défaut de formation qui leur correspond, beaucoup d’électeurs s’abstiendraient. En bref, la politique est une des rares situations ou 1+1 ne fait pas nécessairement 2.

En outre, indépendamment de ce que l’on peut penser des idées développées par QS et ON, ces partis apportent beaucoup au civisme et à la cause de l’indépendance en mobilisant une masse importante de la population, parfois en marge du jeu politique dominant, tout en compliquant à leur corps défendant la représentation d’une certaine option indépendantiste en chambre. Le défi actuel consiste donc à mettre en place une organisation qui multipliera leurs efforts sincères de pédagogie, de persuasion et de renouvèlement au profit du rassemblement. Pour y répondre, certains parlent de primaires ou encore de contrats de gouvernement.

Quoi qu’il en soit, c’est une lapalissade d’affirmer que les résultats du 7 avril dernier n’ont pu contenter aucun souverainiste. Les raisons de cette insatisfaction sont certainement diverses, mais la déception est bien partagée. Du fait des accusations de division du vote ou de culpabilisation de l’électorat, des rancœurs en sont même probablement nées, peut-être durablement. Aussi, si l’on souhaite en tirer des leçons et resserrer les rangs pour converger vers notre objectif commun, il faut que le PQ, QS et ON agissent rapidement en faisant l’effort de dépasser ces résultats qui ne sont que le produit négatif d’une conception archaïque du jeu électoral et non le seul fait de la mauvaise foi de l’un ou de l’autre. La prochaine fois pourrait être pour très bientôt si tant est que l’on crée enfin collectivement les conditions de la collaboration plutôt que de cultiver les prés carrés : résolument, l’indépendance doit prendre la voie de la convergence dans le respect de sa diversité.

« À la prochaine fois »

Par défaut

Cher Jean-Martin, cher ami,

Tu as fait aujourd’hui le choix de quitter la vie politique pour prendre soin de ceux qui te sont chers. Certains ne comprendront pas cette décision et d’autres peut-être t’accusent déjà de lâcheté. Pour évoluer depuis plusieurs années dans ce milieu et pour en avoir souffert moi-même récemment, je puis dire que la conciliation de la vie politique et de la vie privée est un exercice d’équilibriste qui ne convient guère à ceux pour qui le respect de soi passe avant l’ambition. Voici que tu en fais désormais le constat amer, comme bien d’autres avant toi, et il se pose maintenant la question de la pérennité de la formation politique que tu as initiée il y a près de deux ans.

Dans les heures qui suivaient ton retrait, un magazine parlait donc des orphelins d’Option nationale et de ces quelques milliers de personnes pour lesquels la démarche que tu as entreprise a éveillé une ferveur mésestimée ou trop longtemps contenue. Il serait pourtant faux de croire que tu laisses en chantier ce projet un peu fou. En parcourant le Québec et ses établissements d’enseignement, tu as fait une oeuvre de pédagogie dans laquelle bien peu s’étaient lancés depuis de longues années. Rien que pour cela, pour ces innombrables graines que tu as pris soin de semer avec patience et désintéressement, tu mérites notre plus grand respect.

Comme le disait M. Parizeau à l’occasion du dernier Congrès, Option nationale avait la capacité d’être un levain dans la pâte, c’est-à-dire de révéler un potentiel de croissance jusque-là dormant. En effet, ON est née d’une volonté latente de changer de paradigme sur la base d’une refondation citoyenne fondamentalement participative. D’ailleurs, il n’eut pu avoir de plus bel exemple que le printemps érable pour traduire ce désir de réappropriation du politique par la société civile. C’est pour cette raison que si les indépendantistes québécois ont perdu, à l’occasion de ton départ, l’un de leurs meilleurs porte-voix, il ne faudra pas oublier pour autant que la force de notre projet repose sur le plus grand nombre, qui la structure et la soutient. Cette dialectique entre idées et soutien populaire constitue donc la pierre angulaire du mouvement souverainiste, car ces deux aspects sont à la fois interdépendants, constitutifs l’un de l’autre, et servent l’idéal humaniste. Comme le disait Hugo dans Les Misérables, « au point de vue politique, il n’y a qu’un seul principe, la souveraineté de l’homme sur lui-même. Cette souveraineté de moi sur moi s’appelle Liberté ».

Alors, certes, ton départ pourrait sembler être un coup dur pour tout un pan de la société qui découvrait la politique grâce à ON. En quittant le PQ, tu avais dressé le constat qu’un trop grand attachement à un véhicule partisan pouvait conduire au sectarisme; de la même manière, ne pas réussir à dépasser ce que tu as incarné à ON confinerait à l’idolâtrie. Mais, optimiste, j’ai espoir que ton annonce sera aussi l’occasion recherchée pour que les citoyens s’emparent un peu plus massivement du mouvement renaissant, afin de projeter plus loin cette nouvelle demande de gouvernance.

Jean-Martin, j’ai eu le plaisir de participer, à tes côtés, à la fondation de quelque chose qui nous a dépassés, non sans erreurs parfois, mais toujours avec coeur et honnêteté. Si les aléas de la vie nous ont un peu éloignés ces derniers mois, je continuerai de vouer un respect inestimable pour ton effort désintéressé à cette cause que nous partagions et que nous chérissons encore.

Si j’ai bien compris, tu viens de nous dire « à la prochaine fois » : il y a longtemps que ces quatre mots n’avaient résonné avec autant d’espoir. Bonne continuation et à très bientôt.

La marche d’un peuple : du printemps érable au changement de paradigme

Par défaut

Texte publié sur Vigile et le Huffington Post et cosigné avec Élisabeth Émond, diplômée de science politique de l’UQÀM, présidente d’Option nationale dans Laurier-Dorion

Il y a un peu plus d’un an débutait ce qui allait devenir l’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu le Québec : le bien nommé « printemps érable ». Cette formule reprise par la presse internationale, en référence aux révoltes populaires qui ont secoué le Maghreb quelques mois plus tôt, ouvrait la porte aux plus grandes espérances.

Comme le disait Antonio Gramsci, « il y a crise lorsque le vieux ne veut pas mourir et que le neuf ne peut pas naître ». Quoique parfois confus dans son expression, ce mouvement a su fédérer des citoyens de toutes générations aux revendications multiples. Pour paraphraser Nietzsche, « atteindre son idéal, c’est le dépasser du même coup » et c’est pourquoi les revendications d’une société complète ont dépassé la seule question des frais de scolarité : cette indignation était latente et ne cherchait finalement qu’une étincelle pour s’éveiller.

Un point de rencontre unique

Le développement durable, en passe de devenir le grand référentiel qui guidera l’action publique des prochaines décennies a sans conteste été le cœur d’une convergence quasi naturelle entre les multiples sphères ayant animé le printemps érable. Ses trois pivots (social, écologie et économie) ont effectivement dessiné les contours d’une mobilisation qui allait marquer l’histoire du Québec.

D’abord, sur le plan social, le mouvement de grève relatif aux frais de scolarité s’inscrivait dans une certaine continuité d’un tremblement social à l’échelle mondiale. Le phénomène « Occupons », de Madrid à Montréal, a contribué aux premiers soubresauts et créé un terrain fertile pour les revendications citoyennes. Ensuite, en réunissant un demi million de citoyens dans les rues de Montréal pour la Journée de la Terre, la société québécoise exprimait une prise de conscience importante. Elle reconnaissait ainsi faire partie d’un écosystème marqué par une complexe codépendance et s’indignait de la façon inadéquate de gérer nos ressources environnementales. Enfin, dans une conjoncture où le système même du capitalisme financiarisé est de plus en plus critiqué, où les médecines rigoristes n’en finissent plus de montrer leurs effets néfastes, la question de la redistribution des richesses est redevenue une exigence. Le printemps érable a alors permis de faire rejaillir de la société civile, mais aussi des partis émergents, un discours économique progressiste et équitable, faisant ainsi taire l’espace d’un moment les discours misérabilistes et alarmistes des « déclinologues » de profession.

Catalyser la convergence des revendications

Ce point de rencontre était une impulsion tout indiquée pour entreprendre un virage qui aurait permis au Québec de se lancer sur la voie d’une nouvelle révolution tranquille. La sociologie politique nous apprend toutefois qu’une crise, si elle est le produit de ce genre de tensions, est aussi révélatrice de la solidité des institutions, c’est à dire des structures sociales en tant que système de relations sociales.

Les associations et syndicats étudiants ont joué un rôle prépondérant dans la mobilisation de la société. Toutefois, comme le mouvement national dépassait la seule question des frais de scolarité, il est vite devenu clair que ces groupes allaient devenir insuffisants pour canaliser l’ampleur de cette grogne aux multiples facettes.

Or, il est plus qu’évident que les deux grands partis historiques québécois, à la fois produits et facteurs de ces mêmes institutions, n’auraient pu relever le défi immense de ce virage qu’en allant à contre-courant de leur nature profonde. Cette ambition dépassait non pas leurs philosophies qui, autant sociale-démocrate que libérale, sont tout à fait louables et fondamentalement humanistes, mais elle dépassait leur mode de fonctionnement et leur rapport au citoyen, qui ne correspondent plus aux réalités et aux exigences de la société contemporaine. Quand les Québécois se sont levés, habités par cet aggiornamento, certains partis n’ont pu répondre présents.

Opérationnaliser le changement de paradigme

Tant que les partis politiques québécois baseront leur gouvernance sur le modèle technocratique désuet des Trente glorieuses, le Québec ne parviendra pas à se sortir de ce paradigme, dans lequel pourtant il ne se reconnaît plus. Tant que les prises de décisions ne composeront pas avec une refondation citoyenne participative, cette démocratie étouffera, encore, parce que confisquée.

Ainsi, nous pensons qu’il faut essentiellement deux évolutions au mode de gouvernance contemporain pour que puisse enfin émerger cette mutation, fortement revendiquée l’an passé, et rendue nécessaire par les impératifs du 21e siècle. Ces changements permettront, d’une part, d’activer le transfert de paradigme et, d’autre part, d’en assurer la pérennité sur le plan de nos institutions démocratiques.

Premièrement, la réappropriation du politique par la société civile est nécessaire. Si la mobilisation fut certes un élément prometteur pour un changement politique au Québec, elle est loin d’être suffisante. Ce mouvement doit maintenant s’accompagner d’une maîtrise et d’une compréhension de l’appareil politique. Le contraire supposerait que, de façon un peu hypocrite, on prétende opérer un changement majeur dans le mode de gouvernance de l’État sans jamais aller sur le fond de la chose. Ainsi, la pédagogie et l’éducation populaire seront des leviers primordiaux à une transformation en profondeur.

Deuxièmement, la mise en place d’une réforme devra impliquer un modèle de démocratie participative de standard élevé, visant ainsi à renouer avec les fondements de la démocratie moderne liée à la reddition de compte. Plus que le slogan galvaudé que l’on brandit trop souvent, il s’agirait donc là du plus fidèle garant d’un processus qui vise à redonner confiance en l’État de droit et à se réapproprier les sphères de pouvoir. Si certains acteurs prétendent s’inscrire dans un nouveau mode de gouvernance, ils devraient être en mesure de proposer concrètement une manière de « faire de la politique autrement », sans quoi leur discours ne servirait au final qu’à masquer un conservatisme méthodologique.

Changer la société, certainement, mais il serait aussi illusoire, pour ne pas dire contre-productif, d’espérer y parvenir en évoluant à sa marge. À cet effet, les conséquences de la crise économique qui s’étend à travers le monde nous rappellent la dangerosité de ceux qui prétendent « faire de la politique autrement » en s’exonérant des règles démocratiques, sous prétexte des vicissitudes passées.

La Révolution tranquille est restée inachevée parce qu’elle n’a pas su remettre en cause le confort de notre indifférence. Le printemps érable est en passe de subir le même sort si les discours ne s’accompagnent pas du cheminement évoqué ici. Qui veut réellement changer la société doit savoir pour quoi et comment le faire. Alors, de l’air pour le Québec moderne!, le printemps revient. Ne reste plus qu’à chacun de nous d’incarner ce changement jusqu’à ce qu’il s’enracine réellement dans un Québec devenu moderne. La révolution civique est la clef du plus grand projet collectif qui soit : la formation d’une nouvelle Cité libre.

L’insupportable tentation de museler le travail du parlementaire

Par défaut

Texte cosigné avec Kévin Neuville et publié dans l’édition du 10 janvier 2013 du quotidien Le Devoir sous le titre « Monsieur Drainville, ne punissez pas les vire-capot! »

On apprenait mercredi que le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, réfléchissait à la possibilité de mettre en place des dispositions visant à freiner les ardeurs de ceux que l’on a coutume d’appeler, de façon bien peu élégante, les transfuges politiques, voire les vire-capot. Cette réflexion confine à l’échec pour trois raisons qui tiennent de la tradition démocratique, du fondement juridique et, enfin, du simple bon sens.

Une marge de manoeuvre

Concernant le premier aspect, nos sociétés occidentales ont fait le choix de la représentativité. Elles ont rejeté le principe de ce qui a été qualifié de « mandat impératif ». Le philosophe Jean-Jacques Rousseau avait évoqué l’idée d’élus contraints par un mandat. Dans la logique de Rousseau et du « mandat impératif », ceux-ci ne pouvaient donc être des « représentants » du peuple ; ils n’en étaient que des « commissaires ». Les députés de notre système représentatif disposent au contraire d’une marge de manoeuvre qui leur permet de ne pas être aliénés. Sinon, l’assemblée ne serait plus qu’un lieu d’échanges de positions déjà exprimées et, par définition, inamovibles. Dans un régime représentatif, l’assemblée peut devenir l’outil indispensable visant à l’émergence du consensus dans l’intérêt de la nation. La qualité des débats et la capacité d’argumentation et de persuasion qui en résultent permettent des évolutions, des cheminements, qui peuvent alors naturellement se traduire par l’évolution philosophique puis partisane d’un représentant élu. En outre, l’élu n’ayant pas vocation à représenter de façon sectaire ses quelques points de pourcentage glanés le jour d’une élection, son mandat est de représenter toute la population de sa circonscription, incluant donc ses adversaires, auxquels il doit s’ouvrir en dépit de divergences. En bref, on voit clairement que le rôle d’un député ne saurait être cantonné à celui de béni-oui-oui. En dernier lieu, il pourrait aussi être utile de rappeler brièvement que la naissance des partis politiques s’est notamment réalisée dans un objectif de mutualisation des moyens, afin que chaque citoyen puisse se présenter à une élection sans être titulaire personnellement de quelques capitaux que ce soit. Au risque de dénaturer profondément le jeu partisan, on ne saurait donc borner la liberté intellectuelle et philosophique de l’élu par un outil d’émancipation vis-à-vis des capitaux fortement perverti.

L’individu d’abord

Vient ensuite l’argument selon lequel le député, élu sous une quelconque bannière, trahirait la confiance de ses électeurs et de sa formation politique en rejoignant un autre parti. Il faut se rappeler que notre système électoral ne fait pas la part belle aux partis dans le processus électoral. L’idée pourrait avoir du sens dans l’hypothèse d’un scrutin proportionnel de liste où les citoyens voteraient pour une équipe soudée représentant une communauté de vue et d’action. Or, dans un scrutin uninominal comme le nôtre, les électeurs apportent leur soutien à un individu, libre, qui se reconnaît au moment de l’élection dans une formation politique qui, en contrepartie, accepte de lui apporter son soutien. C’est d’ailleurs pourquoi les partis sont invités à reconnaître l’affiliation partisane d’un candidat pour que celui-ci puisse s’afficher. Ceci étant, à l’exception d’aspects administratifs tels que les dépenses électorales, à aucun moment notre loi électorale n’accorde plus d’importance aux partis dans la question des candidatures. Le mode de désignation des candidats est une question tout à fait interne aux partis et qui ne concerne guère ceux qui ne souhaitent pas y prendre part. Qu’il y ait pu avoir des assemblées d’investiture de militants n’a donc pas à entrer en ligne de compte. Tout au plus, cela relève donc de la seule éthique personnelle de l’élu et du respect de sa parole donnée, mais n’est pas justifié par un quelconque détournement de la loi ou de son esprit.

Des positions qui évoluent

Enfin, de simples éléments de sens commun méritent d’être rapidement évoqués. Le ministre part du postulat qu’un parti politique dispose d’une ligne de conduite claire, prévue par sa plateforme et prévisible dans son application. Mais comme toutes les organisations, les partis sont soumis à des lignes de force qui fluctuent à un moment ou un autre. En clair, un élu peut donc aisément, en l’espace de quelques mois, passer de l’adhésion à l’inconfort le plus total dans une formation. Que le parti et l’élu aient divergé après l’élection, pour quelque raison que ce soit, n’a pas à remettre en cause le lien de confiance qui a pu s’établir entre un candidat et ses commettants au moment du scrutin. Surtout, on sait que les circonstances politiques peuvent être tout à fait labiles à certaines périodes de l’Histoire ; l’échec des accords du lac Meech au début des années 1990 l’illustre bien. Advenant de grands bouleversements, des accélérations formidables des événements, il serait tout à fait absurde de nier que l’élu ou son parti puissent évoluer dans leurs positions. Et, après tout, que l’on préfère que l’élu siège en tant qu’indépendant d’ici la prochaine élection ou qu’il rejoigne formellement un nouveau groupe parlementaire, cela ne changerait que peu de choses dans le fond des débats, car ce que l’équipe ministérielle conteste ici au premier chef, c’est le changement d’étiquette partisane, ce qui ne nous semble guère être une priorité si l’on souhaite lutter contre la méfiance vis-à-vis des institutions.

Il n’est pas de notre volonté de nier la volonté réelle et probablement sincère de M. le ministre Drainville de dépoussiérer notre démocratie. Son travail, à ce jour, est remarquable. Malheureusement, il semble être teinté de la même candeur qui l’avait conduit à suggérer que le premier ministre soit élu au suffrage universel, en dépit de toute logique dans l’équilibre des pouvoirs au sein d’un régime parlementaire dit « système de Westminster ». Si la réflexion qu’il a introduite relève de l’impérieuse nécessité, elle mérite bien plus que quelques ballons d’essai.