Les Britanno-colombiens en goguette de l’Écosse

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Tandis que le peuple écossais est aujourd’hui appelé aux urnes pour déterminer, par voie de référendum, son avenir, il est regrettable que certains confondent la sympathie que l’on doit avoir pour un exercice démocratique avec un genre de projection morbide qui revient à vivre par procuration une démarche que l’on ne réussit pas à faire renaître au Québec. Cela est d’autant plus troublant pour ces pèlerins, acteurs politiques québécois de première ligne, eux-mêmes difficilement épargnables quant au doute qui nous habite. Bien sûr, il ne faut pas tout mélanger et apprécions à leur juste valeur ces initiatives individuelles épanouissantes que l’on découvre chaque jour dans les médias sociaux.

Que l’on salue le choix des Écossais de s’interroger collectivement sur leur avenir, en étudiant le phénomène scrupuleusement pour en tirer des enseignements, c’est méthodologiquement louable. Par contre, si l’on projette dans ce référendum nos propres névroses c’est, au mieux, simpliste, au pire, c’est de l’ingérence malsaine.

En plongeant dans la question nationale écossaise, souhaitons aux électeurs un choix transparent et volontaire, mais, de grâce, ne reproduisons pas ce que nous abhorrions hier : nous ne sommes pas plus légitimes à nous prononcer ici que ne l’étaient les Britanno-Colombiens lors du Love-in de 1995.

« D’égoïstes prévaricateurs »

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« Si nous substituons, déclarait Mirabeau, l’irascibilité de l’amour-propre à l’énergie du patriotisme, les méfiances à la discussion, de petites passions haineuses, des réminiscences régulières à des débats réguliers, et vraiment faits pour nous éclairer, nous ne sommes que d’égoïstes prévaricateurs. » Il ressort alors du conflit social, qui a conduit au désastre de ce soir au Conseil de ville, que les deux principales parties manquent d’une sérieuse culture politique, car elle est avant tout une culture de l’écoute.

Mirabeau (1749-1791), dit l’hercule de la liberté, révolutionnaire français

Le respect dû aux travailleurs n’est pas moins respectable que celui que l’on doit aux institutions démocratiques. Toutefois, la question n’est plus celle de la complémentarité des modes d’action et de revendication, elle est dans la capacité à appréhender la sphère parlementaire comme étant l’ultime lieu d’échanges, pacifique, des opinions qui parcourent la société.

Il y a, dans les exactions de ce soir, un relent d’antiparlementarisme quasi factieux jouant du « tous pourris » de la classe politique et qui cause un tort terrible au syndicalisme. Et la population ne s’y trompera probablement pas, annihilant par la même les derniers maigres espoirs de voir celle-ci souscrire aux revendications syndicales. A contrario, la stratégie du mépris systématique de la fonction publique par ceux de ces élus qui ont si longtemps dénigré leurs agents a atteint un cul-de-sac dont on paiera longtemps le prix, collectivement. Soûlés par des années de néolibéralisme au vitriol, vous avez réussi à présenter vos fonctionnaires, vos agents de terrain, comme des parias. Imaginiez-vous un seul instant ne pas en pâtir?

Zola mérite mieux

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Réplique à la lettre de Joël Lion, publiée le 8 août dans Le Devoir.

Monsieur le Consul,

Dans votre lettre en date du 8 août, vous revenez sur les tragiques événements qui opposent votre pays, Israël, « aux fanatiques islamistes » dites-vous en vous permettant, par un curieux sophisme, d’éluder la situation des populations civiles de votre réflexion. Surtout, vous vous permettez d’exploiter sans vergogne le souvenir du grand Zola en guise d’accroche, chose que l’on ne peut laisser dire sans dénoncer un sérieux détournement mémoriel.

Le J’accuse de l’auteur des Rougon-Macquart était un acte de résistance en soutien au capitaine Dreyfus, un geste courageux face à l’antisémitisme ordinaire d’alors, tandis que rares étaient ceux dans la société prêts à dénoncer cette infamie devant les virulences de la droite nationaliste et réactionnaire française.

Je dénonce donc, Monsieur, que vous osiez usurper l’Histoire pour dénigrer les insurgés contre les barbarie de la guerre. Voyez-vous, il y a dans l’opposition à cela une « pacifique révolte de l’esprit », pour reprendre les termes de Clémenceau, autre dreyfusard célèbre.

Le rejet de la militarisation des rapports entre Nations, de la colonisation, de la terreur, de l’extrémisme et des fondamentalismes religieux, ne fait pas vos prétendus « bien-pensants ». Ce rejet fait au contraire honneur à la rigueur morale de ces quelques intellectuels qui, hier, ont tracé la voie de la défense des sans-voix face aux mépris des forts et de leurs soudards, qu’ils s’appellent aujourd’hui Hamas ou Tsahal.

La santé publique, un bien culturel à préserver pour les citoyens

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Texte publié dans sa version légèrement raccourcie dans l’édition du 26 juin 2014 du quotidien Le Devoir

Texte collectif à l’initiative de membres de l’exécutif de la COLUFRAS :

  • Rémy Trudel, président et professeur à l’ENAP
  • Diane De Courcy, vice-présidente à la recherche
  • Florent Michelot, secrétaire général

Un peu plus tôt cette semaine, l’Institut du nouveau monde, l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) ainsi que la Confédération des syndicats nationaux (CSN) organisaient le Premier rendez-vous national sur l’avenir du système public de santé et de services sociaux. À cette occasion, les participants de cette initiative avaient l’opportunité de réfléchir, collectivement, sur les défis de nos systèmes publics quant au financement, à la gestion et, finalement, aux prestations fournies aux citoyens. Ces échanges, aussi riches qu’indispensables, constituent une ébauche de réponse porteuse d’avenir à des préoccupations qui intéressent directement la plupart des pays et, singulièrement au sein de l’OCDE.

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Être « riches » collectivement ne suffit plus pour être en bonne santé

La révolution interventionniste du siècle dernier a été un gain indéniable pour nos sociétés quant à la santé de nos concitoyens : un enfant né en 2000 avait ainsi une espérance de vie supérieure de neuf années vis-à-vis de son aîné né en 1960; surtout, la mortalité infantile a été divisée par cinq au sein de la même période. Tandis que les dépenses publiques dans le domaine augmentaient rapidement, ces quelques données, et bien d’autres sur lesquelles nous pourrions longuement nous étendre, indiquent indubitablement que ces gains formidables pour la santé publique n’auraient pu être acquis sans l’engagement massif et enthousiaste des communautés nationales.

Faut-il en déduire que la corrélation entre la dépense (publique ou privée d’ailleurs) et la santé des citoyens est parfaite? Certainement pas. D’abord parce que l’on sait que les États-Uniens, premiers investisseurs per capita en santé dans le monde, sont largement relégués quand il s’agit d’évaluer leur performance dans le domaine. Ensuite, jusqu’à un certain point, il ne suffit plus d’être « riches » collectivement pour être en bonne santé. La meilleure preuve en est le fait qu’en dépit de PIB relativement proches, les Japonais vivent en moyenne cinq ans de plus que les états-uniens alors même que l’espérance de vie était pourtant plus élevée à la base chez ces derniers.

La réponse par le seul investissement massif devient d’autant moins adéquate que les coûts de santé ont tendance à croître plus vite que le PIB. À l’instar du CIRANO, plusieurs véhiculent ainsi des inquiétudes quant à la pérennité du système actuel, surtout si le même modèle hospitalo-centré ne change pas. Et dans ce panorama, le cas de la rémunération des médecins spécialistes qui bénéficieront, en 2014, d’une augmentation de 67 % par rapport à 2008, sans contrepartie évidente et sans autre forme de discussion, est alors tout à fait symptomatique : dépenser plus n’est pas synonyme de gain de productivité ou d’efficacité au profit de la population.

La misère sociale a aussi un coût

A contrario, les dynamiques économiques récentes ont imposé dans l’espace public l’idée que l’intervention de l’État serait nuisible. Or, ce postulat, paradoxalement, ne repose sur rien. Le démantèlement de certains services publics, comme l’ont connu plusieurs pays notamment en Europe, en a amplifié au contraire certains effets délétères. À cet effet, réduire la dépense en santé est néfaste, car elle pousse les populations à concentrer son pouvoir d’achat sur le nécessaire à court terme : remplir son panier d’épicerie et se loger… au risque d’en négliger sa propre santé. On sait ainsi qu’au Canada les deux quintiles de population aux plus faibles revenus correspondent à 55 % des dépenses de santé selon le Centre d’étude sur la pauvreté qui évalue par ailleurs le coût de la pauvreté à 17 M$ au Québec.

Les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman l’ont expliqué, les coupures massives sont des vecteurs de stagnation voire de décroissance. Même le Fond monétaire international qui s’était fait l’apôtre de cette tendance le reconnaît aujourd’hui : l’austérité est une erreur de calcul. La pauvreté constitue une charge pour la santé publique et l’ensemble des services gouvernementaux et donc sur les budgets des États.

Une alternative existe, elle est au plus proche du citoyen

La COLUFRAS, travaillant depuis de nombreuses années avec ses partenaires du monde entier, a noté la fascination qu’a pu exercer le modèle de santé québécois auprès des lusophones notamment. Le changement de paradigme de l’hospitalo-centrisme vers la médecine familiale a toutefois été incomplet au Québec. Alors que nous mettions en place quelque 250 Groupes de médecins de famille, le Brésil organisait environ 30 000 équipes de santé familiale et le Portugal en compte déjà plus de 350 en activités depuis 2006 et des centaines d’autres sont en voie d’ouverture.

Et le problème n’est pas que quantitatif. En effet, plusieurs expériences internationales ont démontré la pertinence de ces ressources de santé familiale dans une optique décentralisée et pluridisciplinaire. À cet égard, le portrait des Unités de santé familiale portugaises est fascinant : attente limitée à 20 minutes, délai maximal de cinq jours pour un rendez-vous, parité obligatoire entre médecins généralistes et infirmières, participations actives de ces dernières au suivi médical des patients, soutien administratif de techniciennes médicales spécialisées, autonomie de gestion, présences fréquentes et régulières de spécialistes à la cliniques… et mêmes entretiens téléphoniques aux trois mois avec les patients dont on aurait eu de nouvelles! Au final, l’activité médicale portugaise a donc déplacé son centre de gravité vers une relation longitudinale entre le médecin et patient, tout en renforçant la « citoyenneté médicale » en faisant participer les uns et les autres au processus décisionnel, un constat qui n’est pas sans rappeler les municipalités brésiliennes dont les élus sont aussi responsables, et donc imputables, quant à la santé de leurs concitoyens.

Bien sûr, le modèle portugais n’est pas pour autant exempt de problèmes (par exemple, le système hospitalier est lui très perfectible), mais, en permettant un suivi sur le temps long des patients et en favorisant la promotion des bonnes habitudes de vie, il a contribué à endiguer voire réduire certaines dépenses : en terme de médicaments ou d’examens complémentaires à fins de diagnostics, certaines unités ont permis des baisses substantielles de dépenses de 15 à 20 % dès leur implantation, soit des millions d’euros à l’échelle des districts.

Et cette perspective n’est pas la seule, puisqu’une refondation du financement de notre système de santé par l’économie sociale (elle aussi participative et égalitaire), et singulièrement le mutualisme, peut aussi faire partie de ces options à évaluer.  Nous avons ainsi vu cette semaine que le Mouvement Desjardins apparaît au 2e rang du classement des banques les plus solides au monde selon l’agence de presse financière Bloomberg. Être plus forts en étant unis : voici un exemple puissant du potentiel du tiers-secteur québécois dont la vertu est de prioriser l’intérêt de ses membres, plutôt que de répondre aux seules considérations marchandes. Dans ce domaine, plusieurs mutuelles d’économie sociale étrangères ont donc largement contribué à rationnaliser les coûts de santé sans impacter négativement les prestations, en mettant l’accent notamment sur la prévention de ses sociétaires ou en créant des coopératives de médecins spécialistes par exemple.

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On le voit, notre modèle de gouvernance de la santé, s’il est à l’heure des choix, n’est donc pas dans une impasse. En renforçant l’inflexion donnée il y a quelques années autour des GMF, tout en évitant de tomber dans le même écueil que sont les grosses structures, une avenue viable, c’est-à-dire pérennisable, économe, donc respectueuse des contribuables, et empathique, car soucieuse des moins fortunés et des plus faibles, est donc à notre portée. De la même manière que certains pays ont su regarder vers le Québec lorsqu’il a s’agit de déployer rapidement et efficacement un réseau de santé, il nous revient donc, maintenant de nous inspirer d’expériences étrangères de pays qui partagent cette vision originale de la solidarité nationale, une solidarité qui garantit l’universalité des soins, sans condition de ressources.

« À celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien »

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Texte publié dans sa version légèrement raccourcie dans l’édition du 12 juin 2014 du quotidien Le Devoir

Jean Jaurès, homme de son siècle, au confluent de traditions sociales et politiques antagonistes, incarne on ne peut mieux la dialectique de ce que l’on théorisera et expérimentera ensuite sous le vocable de socialisme démocratique. Penseur autant qu’acteur, le « Grand Jaurès », a été de ces quelques rares qui ont procédé d’une certaine façon à la réunion de la réflexion et de l’action et payant ainsi de leur vie le poids de leur engagement désintéressé et total.

Illustration : Tiffet, Le Devoir

Aussi, il n’est pas inopportun, nous croyons, de reconvoquer brièvement la dualité de l’esprit jauressien. Une lecture par trop linéaire ou segmentée de son œuvre empêche à cet effet d’en comprendre parfois la force de synthèse. Ceci étant posé, il est alors d’autant plus utile de relire son travail à l’aune de sa perception de l’humain, individu social au sein d’un groupe, singulièrement au prisme de notre contexte national incertain. L’Humanité, c’est d’ailleurs le nom du quotidien dont il a été le fondateur, avant d’en devenir directeur, puis d’être assassiné à quelques encablures de ses bureaux où il mettait les dernières mains à un ultime appel à une grève générale européenne afin de contrer la lente marche vers la guerre qui sera finalement déclenchée trois jours après son décès.

Ce dernier exemple atteste de l’articulation de la pensée de Jaurès à une tradition socialiste historique dans laquelle le prolétariat doit bâtir sa force par l’union transnationale, face à un capital à l’époque beaucoup moins internationalisé qu’aujourd’hui. Le postulat marxisant de cette tradition prévalait donc : « On accuse les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité; les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas », écrivaient Marx et Engels. De là découlait logiquement le discours sur la nécessité de prendre possession de la superstructure étatique et ainsi la mécanique révolutionnaire.

Toutefois, Jaurès n’étant pas un penseur-hors-sol, il inscrit son discours et sa démarche dans une réalité déjà fort différente de celle que Marx entrevoyait à peine dans la Commune de Paris et tout aussi éloignée des hésitations de ses précurseurs français Saint-Just et Blanqui sur le rapport des « malheureux » à la patrie. En effet, la France de 1885 à 1914 (ses années de politique active) connaît sa révolution industrielle. École gratuite et obligatoire, séparation des Églises et de l’État, liberté d’association, liberté de presse, etc. : la République déploie peu à peu ses valeurs dans le cadre d’institutions démocratiques auxquelles participent tous les citoyens de sexe masculin. En pratique, on constate que l’idéal républicain s’impose progressivement comme la forme de gouvernement légitime. Est-ce à dire que la superstructure marxienne est acquise au prolétariat? Certainement pas, mais Jean Jaurès, farouchement pacifiste, est légaliste et fait le pari des institutions démocratiques.

Jaurès, le démocrate, n’en est pas moins révolutionnaire quant à la critique radicale de son temps. Sa critique du capitalisme sauvage d’alors est virulente. En 1895, devant la Chambre des Députés, il conspue cette « société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand est à l’état d’apparent repos, [car elle] porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage. » Inversement, pour annihiler cette inexorable « lutte universelle pour la vie — qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille — [il faut] un régime de concorde sociale et d’unité. » L’expression de cet idéal fraternel, Jaurès, aussi ardent républicain qu’aux premières heures de son engagement politique, le traduit dans le pacte national. En 1911, il publie L’Armée nouvelle, une somme réflexive prodigieuse sur la place du militaire, mais aussi de la cohésion nationale. Le « patriotisme, y écrit-il, n’est pas une idée épuisée [car] elle se transforme et s’agrandit ». Quelque peu rousseauiste, il rappelle là l’importance de « la libre fédération des nations autonomes » et la « soumission à des règles de droit » comme ferment à la démocratie sociale. C’est donc la rupture avec la transgression du socialisme révolutionnaire qui est consommée; dans la continuité d’un Proudhon qui déclarait en 1948 que « la république est une anarchie positive », il se veut le gardien du progrès dans la concorde nationale traduite par le libre consentement du peuple à la Loi.

Comme le révèlera son biographe Max Gallo, il profite d’ailleurs de cet ouvrage pour attaquer ceux de ces socialistes qui, comme Gustave Hervé, voient peu de différence à vivre « sous le soudard » allemand ou français; ironie de l’Histoire, c’est ce même Hervé « postnational » qui finira sa vie dans le fascisme en proposant, dès 1935, l’accession de Pétain à la tête d’un État autoritaire. Bref, si la nation est donc utile, notamment en tant que réceptacle du jeu démocratique, elle n’est pas un horizon indépassable, puisque des solidarités internationales doivent émerger entre les peuples. C’est une des matrices de son ouvrage qui est résumée dans cet extrait devenu célèbre : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie; beaucoup d’internationalisme y ramène. [À l’inverse] un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale; beaucoup de patriotisme y ramène. »

En bref, Jaurès ne se résout pas à dissocier l’idéal collectif construit dans le cadre de la représentation nationale de la Patrie, elle-même porteuse de valeurs. Car la solidarité est un bien culturel qui émane avant tout de la Nation. « Toute atteinte à l’intégrité des patries est une atteinte à la civilisation », rappelle-t-il. Depuis de très nombreuses années, on glose sur le caractère apocryphe ou non la formule utilisée en guise de titre à ce texte. Qu’importe, il ne fait aucun doute que les peuples souverains portugais ou grecs trouveraient écho dans cette formule à voir comme la « Troïka » BCE-FMI-Commission européenne a depuis démembré leurs services publics.

Le 7 avril 2014, et après ? Affronter les idées, sans affront à l’indépendance

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Entrée libreLettre publiée dans l’édition de juin du mensuel communautaire sherbrookois Entrée Libre

De mai 2011 à avril 2014, le mouvement indépendantiste a connu deux défaites cinglantes. Prises sur le temps long, ces deux résultats tendraient, selon certain, à confirmer le déclassement durable du mouvement indépendantiste. En effet, hormis l’occasion de l’élection de 2012 — à appréhender d’ailleurs dans un contexte extraordinaire de crise sociale — le Parti québécois n’a plus été le parti préféré des Québécois depuis 1994.

Est-ce à dire que l’échec des deux principaux véhicules prétendant au monopole du discours indépendantiste traduit par lui-même l’échec d’un mouvement, de son idée, de l’espoir qu’il entretient ? Certainement pas, car si l’échec discursif autant que stratégique est réel, l’Histoire démontre que bien des mouvements populaires se sont relancés en renouvelant leurs approches.

L’Union, une fin en soi ?

« Unité ! », crient encore certains, comme une incantation divinatoire pour ainsi éviter de penser. Depuis son origine, l’indépendantisme contemporain est pourtant parcouru de deux grandes tendances, progressiste ou conservatrice, que rarement les hiérarques souverainistes ont su authentiquement fédérer. Certains se revendiquent de la première, car la Gauche porteraient en elle la volonté de dépassement de l’ordre établi, volonté découlant elle-même de l’idée que rien ne peut résister aux progrès de l’esprit humain. Les seconds expliqueront leur attachement au projet national sur la base d’autres raisonnements propres à la préservation de l’identité. Ils ne sont probablement pas nécessairement moins valides, mais seraient plutôt complémentaires, puisqu’ils attaquent par leurs raisonnements certains angles morts des discours de gauche.

Cette pluralité d’analyses, quoi qu’il en soit, est souhaitable et, contrairement à ce que laisse penser le paysage politique, ce point de vue est largement partagé parmi bien des indépendantistes de tous bords. Ainsi, contrairement à la fausseté répandue de façon intéressée que Québec solidaire pose des conditions à l’indépendance, on doit enfin accepter de voir dans le parti de gauche la volonté légitime d’inscrire la démarche indépendantiste dans un courant qui rejoindra mieux les aspirations de certains. De la même manière, la nature de l’Action démocratique du Québec, dans ses premières années, correspondait à cette réalité. Cela ne l’a pas empêché de souscrire à la campagne du Oui en 1995.

Vers la reconnaissance d’un mouvement pluriel

Quid, dans ce cas, du Parti québécois né de cette volonté ambitieuse de fédérer les forces indépendantistes dans une seule et même organisation ? Historiquement, la méthode a été privilégiée, notamment en considération du système électoral dans lequel nous évoluons. Ceci étant, cette approche n’est pas indépassable. Étant donné les résultats très nuancés de cette stratégie partisane depuis 1968, il n’est d’ailleurs pas illogique qu’elle soit légitimement remise en cause. Aussi, s’il est clair que le mouvement indépendantiste est pluriel et que cette pluralité constitue une richesse, il faudra bien accepter un jour ou l’autre que, de façon organique, la tendance à sa nucléarisation est inexorable. Il est en fait ridicule de considérer que des votes puissent se diviser ou s’additionner comme des marchandises lors d’un inventaire d’épicerie.

Le choix des électeurs est plus complexe : premièrement, plusieurs études amènent à considérer que leur comportement dans l’isoloir est déjà très fortement conditionné par l’intériorisation du mode de scrutin en vigueur ; deuxièmement, les transferts de voix d’un « tiers parti » au PQ, notamment, ne seraient pas si automatiques et l’on pourrait supposer qu’à défaut de formation qui leur correspond, beaucoup d’électeurs s’abstiendraient. En bref, la politique est une des rares situations ou 1+1 ne fait pas nécessairement 2.

En outre, indépendamment de ce que l’on peut penser des idées développées par QS et ON, ces partis apportent beaucoup au civisme et à la cause de l’indépendance en mobilisant une masse importante de la population, parfois en marge du jeu politique dominant, tout en compliquant à leur corps défendant la représentation d’une certaine option indépendantiste en chambre. Le défi actuel consiste donc à mettre en place une organisation qui multipliera leurs efforts sincères de pédagogie, de persuasion et de renouvèlement au profit du rassemblement. Pour y répondre, certains parlent de primaires ou encore de contrats de gouvernement.

Quoi qu’il en soit, c’est une lapalissade d’affirmer que les résultats du 7 avril dernier n’ont pu contenter aucun souverainiste. Les raisons de cette insatisfaction sont certainement diverses, mais la déception est bien partagée. Du fait des accusations de division du vote ou de culpabilisation de l’électorat, des rancœurs en sont même probablement nées, peut-être durablement. Aussi, si l’on souhaite en tirer des leçons et resserrer les rangs pour converger vers notre objectif commun, il faut que le PQ, QS et ON agissent rapidement en faisant l’effort de dépasser ces résultats qui ne sont que le produit négatif d’une conception archaïque du jeu électoral et non le seul fait de la mauvaise foi de l’un ou de l’autre. La prochaine fois pourrait être pour très bientôt si tant est que l’on crée enfin collectivement les conditions de la collaboration plutôt que de cultiver les prés carrés : résolument, l’indépendance doit prendre la voie de la convergence dans le respect de sa diversité.

De la prétendue exclusion laïque à la laïcité dévoyée de l’extrême droite, un langage de sourds entre le PQ et QS

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Depuis plusieurs heures, le Parti québécois s’attelle à dénoncer la comparaison d’avec le Front national que le co-porte-parole de Québec solidaire, M. Andrés Fontecilla, aurait fait de celui-ci. Puisque le PQ ne prend pas la peine de citer l’extrait incriminé, pas plus que les militants qui relaient le communiqué de presse, le voici :

« J’aimerais seulement faire remarquer que la France est loin d’être un exemple d’intégration. Les problèmes entre les communautés sont exacerbés par ces législations-là et je voudrais faire remarquer à M. Drainville que le thème de la laïcité a été approprié par la droite française et même l’extrême droite, M. Sarkozy et Mme Marine Le Pen. »

La fausse laïcité du vrai racisme : le nouvel argumentaire de l’extrême droite française

Déduire de ces deux phrases un rapprochement du PQ et du FN, cela semble bien excessif. Toutefois, force est de constater que M. Andrés Fontecilla a partiellement raison quant à la deuxième partie de son raisonnement. N’en déplaise aux républicains français de tous bords (car la république laïque est autant de droite que de gauche), l’extrême droite aurait réussi à se faire passer pour la championne de la laïcité aux yeux des médias; mais les gesticulations de Mme Le Pen ne trompent personne. Sa croisade n’est que le nouvel avatar de cette obsession à l’égard de la différence qui confine à la maladie mentale : hier, la haine des juifs, des francs-maçons ou des socialistes, aujourd’hui, des Roms, des immigrés d’origine maghrébine, de l’Islam… et probablement encore un peu des autres.

Or, la relative paranoïa qui se développe à l’égard d’un quelconque complot musulman au Québec comporte parfois des parallèles avec l’instrumentalisation extrême droitière faite en France de ce qu’elle nomme laïcité. Et puis, sans même revenir aux discussions récentes sur la Charte des valeurs, souvenons-nous du débat sur la viande halal en mars 2012 engagé par le PQ. Comment ne pas comprendre que certains aient pu alors imaginer que le Parti québécois ait osé une récupération, même maladroite, de ce même débat lancé avec tambours et fracas par Mme Le Pen, moins d’un mois avant, qui expliquait vouloir « montrer aux Français qu’ils sont méprisés dans leur propre pays »? C’est peut-être injuste ou réducteur, mais quelques ambiguïtés comme le cas récent du candidat péquiste résigné Jean Carrière n’ont pas aidé à clarifier les choses.

Ceci étant, entre les détestables excès de quelques-uns et la ligne gouvernementale, il y a un gouffre tel qu’il nous semble encore loin d’être surmontable.

Une laïcité source de cohésion plutôt que d’exclusion

Ceci étant dit, à nos yeux, le lien que dresse M. Andrés Fontecilla entre lois sur la laïcité et intégration nous semble plutôt hasardeux et témoigne d’un manque de compréhension de la réalité outre-Atlantique. Le problème dit d’intégration est avant tout d’origine économique, c’est cela qui est à la source du délitement du lien social.

Avec la disparition de la socialisation par l’écosystème du travail (usines, syndicats, partis, fédérations sportives laïques, etc.) qui rayonnait jusque dans le quotidien des citoyens et contribuait au raffermissement des liens et palliait parfois les services publics insuffisants, les effets de la crise actuelle n’en sont que décuplés. Et on retrouve de nouveau notre Mme Le Pen, toujours prête à rejeter la faute sur les autres, expliquer une fois encore que les immigrés sont la cause de tous les maux. Bref, voir dans les problèmes des « banlieues » françaises un problème lié à un héritage laïque séculaire et dont les racines remontent bien avant 1905, c’est certainement caricatural et ne contribue pas à favoriser un débat intelligible. Non parfois sans accrocs, depuis Nicolas de Condorcet, la conception française de la laïcité s’inscrit dans la tradition exigeante et universaliste de l’égalité entre les citoyens, aux antipodes de la détestation de l’autre.

Il est toujours désolant, surtout en période électorale, de voir des leaders brillants se fourvoyer dans quelques raccourcis et sophismes pour céder au risqué « sens de la formule ». Tandis que l’on souhaitera que le Parti québécois évite de jouer maladroitement avec le feu et voit des enflures verbales où il n’y en a pas, on saura gré à Andrés Fontecilla d’éviter de jouer de raisonnements à l’emporte-pièce.

L’échec du rassemblement national par le mythe du Centre plutôt que par la seule indépendance

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Le billet a été édité le 10 mars 2014

Lettre publiée dans sa version raccourcie dans l’édition du 12 mars 2014 du quotidien Le Devoir

Comme pour des milliers d’individus immigrants et nouvellement citoyens, j’aurai l’honneur d’exercer pour la première fois mon devoir de citoyen à l’occasion du scrutin du 7 avril prochain.

Depuis mes premières semaines ici, en 2006, je porte dans mon coeur le projet indépendantiste. Quoi que certains veuillent faire croire que les nouveaux arrivants sont plus frileux sur la question nationale, je crois au contraire que beaucoup d’entre eux y sont bien plus disposés qu’on ne le pense. La raison en est simple : la normalité d’appartenir à un État souverain, nous la connaissons, de même que la possibilité d’être fier de sa Nation, lors d’une compétition ou d’événements rassembleurs notamment, sans à devoir supporter les Cassandres qui accusent de tout politiser. L’indépendance pour moi, comme pour beaucoup de mes nouveaux concitoyens donc, elle est nécessaire, urgente et réalisable.

Indépendantistes : ni ennemis à droite, ni adversaires à gauche

Un rassemblement de Cap sur l’indépendance avec, notamment, Françoise David, Bernard Landry, Vivian Barbot, Pauline Marois et Daniel Paillé — Photo Le Devoir

Je suis un homme de Gauche, aussi. C’est d’ailleurs selon moi, un corollaire logique de mon indépendantisme — les deux étant intimement liés, se nourrissant l’un et l’autre —, la Gauche portant en elle la volonté de dépassement de l’ordre établi, volonté procédant elle-même de l’idée que rien ne peut résister, pas même les plus grands défis, aux progrès de l’esprit humain, lorsque particulièrement mû par des projets collectifs.

D’autres expliqueront leur attachement au projet national sur la base d’autres raisonnements. Ils ne sont à mes yeux pas moins valides; au contraire, ils tout aussi louables, car complémentaires, puisqu’ils attaquent par leurs raisonnements certains angles morts des discours de gauche.

Cette pluralité d’analyses est souhaitable et ce point de vue est largement partagé parmi les indépendantistes de tous bords. Ainsi, contrairement à la fausseté répandue de façon intéressée que Québec solidaire pose des conditions à l’indépendance, on doit enfin accepter de voir dans le parti de gauche la volonté d’inscrire une démarche dans un courant qui rejoindra mieux certains courants de pensée. La nature même de l’Action démocratique du Québec, dans ses premières années, correspondait à cette réalité. Cela ne l’a pas empêché de souscrire à la campagne du Oui en 1995.

Aussi, s’il est clair que le mouvement indépendantiste est pluriel et que cette pluralité constitue une richesse, il faudra bien accepter un jour ou l’autre que, de façon organique, la tendance à sa nucléarisation semble inexorable.

La dislocation programmée du bloc souverainiste

Dans l’absolu donc, qu’un grand chef d’entreprise québécoise se rallie ouvertement au projet indépendantiste n’est pas de nature à heurter mes convictions. Et, oserai-je même, ce genre de ralliement me semblerait à même de renforcer notre projet collectif si toutefois le Parti québécois tenait un discours clair et disposait d’une stratégie rassembleuse autour de l’indépendance. Refuser de « faire de la politique ouverte » et se contenter de s’en remettre à la nébuleuse rédaction d’un « livre blanc », c’est demander au peuple de faire aveuglément confiance à ses dirigeants. D’ailleurs, parler de « prérogative » ministérielle tel un pouvoir régalien médiéval, comme l’a fait Mme la Première ministre Marois, cela dénote une bien mauvaise compréhension de cet élan inexorable et universel de démocratisation participative.

Ajoutons à cela que ledit entrepreneur est à l’origine de conflits sociaux parmi les plus médiatisés qu’ait connus le Québec de ces dernières années. Bref, il n’est pas besoin d’être grand devin pour comprendre que cela puisse facilement paraître pour un bras d’honneur à ceux des progressistes-indépendantistes fatigués d’avoir trop longtemps contorsionné leurs convictions au profit d’un parti de coalition qui n’assume plus qu’à demi-mot son essence.

Le Parti québécois est né de cette volonté ambitieuse de fédérer les forces indépendantistes dans une seule et même organisation. Historiquement, cela a été privilégié, notamment considérant le système électoral inique dans lequel nous évoluons. Ceci étant, cette approche n’est pas indépassable. Étant donné les résultats très nuancés de cette stratégie partisane depuis 1968, il n’est pas illogique qu’elle soit légitimement remise en cause.

Rassembler, c’est une responsabilité

Et si M. Péladeau rappelait ce matin les mots de M. le Premier Ministre Landry, « ni à droite, ni à gauche, devant! », il revient au seul Parti québécois de faire la démonstration claire que l’indépendance est effectivement devant nous, sans les atermoiements brumeux dont la première semaine de campagne nous a encore abreuvés, de la formule du « premier mandat, dans le deuxième, dans le troisième », au fameux « en temps et lieu ». Autant la profession de foi indépendantiste de M. Péladeau peut être saluée, autant la démarche opaque privilégiée par les officines péquistes doit être condamnée.

Ce n’est pas en se déclarant être le lieu de rassemblement du mouvement souverainiste qu’on le devient de facto. Regrouper des gens qui se disent de droite ou de gauche ne le permet guère plus; tout au plus, cela démontre une certaine capacité de conciliation. Rassembler les indépendantistes, cela ne peut se faire qu’en assumant pleinement le seul dessein qui les unit : la souveraineté du Québec.

Qu’on le veuille ou non, d’ici à ce que le flambeau de l’indépendance soit repris dans un élan d’unité nationale, la démarche embarrassée qui préside au PQ depuis 2007, confirmée par cette première semaine de campagne, n’en finit plus de valider les démarches de Québec solidaire et d’Option nationale.