Un quelque chose d’hypocrite…

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Il y a quelque chose de foncièrement hypocrite à voir la Coalition pour l’avenir du Québec donner des leçons de vertu et exigeant la démission de Gérald Tremblay.

Marc Deschamps, comptable et Agent officiel d’Union Montréal, celui-là même que Martin Dumont présente comme étant celui qui a exposé une double comptabilité du parti, une officielle et une officieuse, alors qu’il était assis aux côtés du maire Tremblay… a aussi été l’Agent officiel de la CAQ jusqu’à l’été dernier.

Que la CAQ ne dise donc pas à son tour qu’elle « ne savait pas », car il a déjà été révélé que Marc Deschamps a été interrogé à plusieurs reprises par l’Escouade marteau, notamment au sujet du rôle qu’il aurait eu quant à la vente du Faubourg Contrecoeur.

Et comme cette insupportable impression de malversations incestueuses semble ne pas avoir de bornes, souvenons-nous qu’avant son passage à la CAQ, Marc Deschamps n’était autre que l’agent officiel de l’ex-ministre des Finances Raymond Bachand dans la circonscription d’Outremont…

Alain Soral au Québec : confession d’un dragueur d’extrême droite

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À l’invitation de groupes locaux, « l’intellectuel » franco-suisse Alain Soral sera au Québec au cours de la prochaine semaine. La venue de ce condamné pour incitation à la haine raciale fait notamment suite à celle du skinhead Serge Ayoub, l’an dernier, aussi connu sous l’évocateur pseudonyme de « Batskin ». Or, que l’on ne se méprenne pas, la présence de ces idéologues d’extrême droite n’a rien d’un insignifiant folklore, car, en dépit du passé de ces individus, nous avons affaire à des individus qui dépassent l’imagerie traditionnelle et caricaturale du ségrégationniste.

Tel que l’exprime le nom du regroupement de M. Soral, Égalité et réconciliation, ils développent des discours qui ont l’ambition de faire la synthèse : « droite des valeurs et gauche du travail » sont la pierre angulaire de leur doctrine. D’ailleurs, dans cet effort de résoudre une improbable quadrature du cercle idéologique, Alain Soral ne décrit-il pas aimablement Jean-Marie Le Pen, dont il fût quelque temps le conseiller, comme « un personnage entre De Gaulle et Chavez » [1]? Plus réalistement, n’oublions pas que celui-ci, d’abord encarté au Parti communiste français s’était fait connaître au début des années 1990 en s’évertuant à rallier communistes et nationalistes-extrêmes contre le libéralisme international incarné par « Wall Street, le sionisme, la bourse de Francfort et les nains de Tokyo » [2]. Toute une perspective…

En fait, son discours est fortement marqué par un tiers-mondisme de façade et c’est ce qui peut séduire en surface. Lorsque l’on gratte, on constate néanmoins rapidement que cela l’amène à faire preuve d’une grande magnanimité, par exemple, à l’égard du régime iranien dont il fût plusieurs fois l’invité aux côtés de Dieudonné et Thierry Meyssan. Magnanimité d’autant plus grande quand on reconnaît les points de convergences qu’il entretient avec le président Ahmadinejad qui souhaite la destruction d’Israël et avec la vision rétrograde du rapport hommes — femmes des ayatollahs, car, pour lui, l’Islam est « une religion virile et simple » [3]. Lecture religieuse complètement fantasque, mais qui lui permet de justifier l’autre pan de sa rhétorique fumeuse, basée sur le clouage au pilori de l’émancipation des femmes et la condamnation de l’homosexualité, cette « perversion » [4] selon ces propres mots.

Ceci étant, le cas particulier de M. Soral ne mérite pas de consacrer plus de temps. Son parcours, ses idées et ses liens organiques avec certains groupuscules ont été longuement étudiés, notamment au Québec par le site FachoWatch.com. Ce qu’il convient de faire, plus précisément, c’est de marquer clairement notre opposition au fait que le mouvement nationaliste québécois puisse être influencé par un verbiage national-révolutionnaire que n’auraient pas renié les Jacques Doriot ou Marcel Déat des années 1930.

Il est vrai que les extrêmes droites et leurs raisonnements tentent de poindre leur nez, parfois de bonne foi, par une imprudente méconnaissance des faits, ou plus rarement volontairement, par l’action de nationaux-socialistes revendiqués, tels ceux de Faction nationaliste. Toutefois, le Québec des idées n’a nullement besoin de ça pour grandir et s’enrichir : la vigilance est présente et une chose est donc certaine, « vous ne passerez pas », jamais.


[1] Christophe Deloire, Le Point, 20 novembre 2006

[2] Jean-Paul Cruse, L’idiot international, mai 1993. Alain Soral en est coauteur.

[3] Alain Soral, Abécédaires de la bêtise ambiante : Jusqu’où va-t-on descendre?, 2008

[4] Ibid.

Respecter la Ministre tout en combattant les idées de la citoyenne

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Laisser tranquille la ministre? Oui.
Rona Ambrose? Jamais de la vie.

Pour compléter la réflexion de Mme Durocher sur son blogue du Journal de Montréal, je ne serai pas de ceux qui demandent l’inquisition pour Rona Ambrose. Elle a été élue en son nom et a voté selon ce qu’elle croyait juste. Or, si l’on adhère au principe du mandat représentatif, elle a donc assumé pleinement son rôle.

Par contre, à plus forte raison, c’est justement parce que je suis républicain et que je respecte les institutions dont nous nous sommes dotés collectivement pour débattre pacifiquement que je resterai un farouche opposant aux idéaux rétrogrades des conservateurs et, surtout, des députés, de toutes allégeances, qui confondent la morale publique et le bien commun avec leur mystique individuelle.

Voilà la distinction que Mme Durocher ne fait malheureusement pas.

De l’étoffe d’un Premier ministre

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Extrait de la Une de l'édition du 24 août 2012 du quotidien La Presse

Extrait de la Une de l’édition du 24 août 2012 du quotidien La Presse

M. Legault, dans une entrevue à La Presse déclarait, vouloir « remplacer ceux qui ne pensent pas comme [eux] », s’il devient Premier ministre. Je ne pense sincèrement pas qu’il faille crier au péril totalitaire comme d’autres ont pu le faire sur le coup de l’émotion, mais cette formule confirme manifestement l’absence totale du sens de l’État de son auteur.

En attaquant ainsi l’Administration publique dans son ensemble, et non plus seulement ses fonctionnaires en tant qu’individus ou leurs groupements, M. Legault met ainsi à mal l’un des fondements de l’État de droit qui est le principe de « continuité de l’État ».

Nous pourrions aussi nous étendre sur le potentiel d’arbitraire dans la décision que la déclaration implique, et donc de rupture d’égalité des citoyens devant la loi, et, surtout sur ce déséquilibre institutionnel grandissant au profit de l’exécutif, véritable tumeur dans notre régime archaïque de quasi-confusion des pouvoirs au profit du Chef du gouvernement.

En bref, indépendamment des convictions de M. Legault que je ne partage guère et de ses qualités personnelles de gestionnaire et d’entrepreneur, on ne peut que regretter la présence de plus en plus envahissante de cette prétendue approche managériale froide et dangereuse pour la stabilité de nos institutions.

Bien sûr, il est nécessaire que l’État fasse son aggiornamento avec notamment un constant recours à une pratique évaluative juste et rigoureuse, mais pas au mépris des règles fondamentales qui transcendent les courants philosophiques et assurent ainsi que les règles du jeu démocratique sont unanimement partagées. C’est cela avoir le sens de la République. C’est cela être serviteur de l’État. C’est cela être un grand Premier ministre.

Une décision qui trouble dangereusement le jeu démocratique

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Exclusions des débats de chefs

Cet article, publié initialement le 3 août, a été modifié suite à la décision de la Cour supérieure le 17 août.
Cette version est disponible sur le site du quotidien La Presse.

La Cour supérieure du Québec a finalement décidé, ce vendredi, de suivre le raisonnement proposé il y a deux semaines, par le Directeur général des élections, qui rendait un avis pour le moins surprenant au sujet de l’exclusion de certaines formations politiques des débats organisés par les télédiffuseurs. Je dis surprenant, pas tant sur la forme puisque les garants de la Loi électorale nous ont habitués à faire preuve de bien peu de zèle en ayant une appréciation minimaliste, pour ne pas dire étriquée, de leur rôle, mais plutôt sur le fond, car cet avis ne tient pas la route une seule seconde. Trois éléments nous permettent de réfuter une argumentation plus que bancale qui revient à vider de sa substance l’article 423 de la Loi électorale. Rappelons que cet article oblige théoriquement les médias, en période électorale, à faire preuve d’équité à l’égard de tous les chefs de partis représentés à l’Assemblée nationale ou qui ont recueillis au moins 3 % des suffrages au précédent scrutin.
En effet, tant le DGEQ que la cour n’assimilent pas les débats à du temps d’antenne gratuit parce qu’il « comporte des règles déterminées par les médias qui l’organisent [et au cours duquel les représentants des partis] n’ont pas la liberté de faire ce qu’ils veulent du “temps d’antenne” ». Ce raisonnement est en parfaite concordance avec la décision rendue en 1994 par la Cour d’appel qui avait rejeté alors une requête du même ordre de Mario Dumont : « le débat n’est pas laissé à l’initiative des partis ou de leur chef politique, mais imaginé, élaboré et organisé par le diffuseur, selon un scénario précis où chaque participant est tenu de répondre à des questions formulées par les journalistes et où l’initiative est prise par ceux-ci et non laissée à ceux qui se prêtent à cet exercice médiatique ». Cette prétendue absence de marge de manœuvre des organisations politiques confèrerait donc le statut de simple émission d’affaire publique à l’un des moments les plus suivis d’une campagne. Or, c’est bien mal connaître l’organisation de tels débats que de croire que les règles sont imposées aux débatteurs. Il est même de notoriété publique que celles-ci sont âprement négociées en amont par des hordes d’avocats et de stratèges en communication et, ce, depuis des décennies. Le premier débat télévisuel du 11 novembre 1962 avait lui-même été au centre de telles discussions entre les équipes de Jean Lesage et Daniel Johnson.
Nous pouvons ensuite noter que la situation de 1994 de M. Dumont ne peut être assimilée pleinement à celle vécue par Option nationale et Québec solidaire. En effet, ces deux partis se voient déjà représentés à l’Assemblée nationale par leur Chef ou l’un de leurs co-porte-parole. Or, ce n’est pas le cas de M. Legault qui, en plus, ne peut non plus se targuer d’être à la tête d’une formation présente à la précédente élection. Cette iniquité apparente ne fait donc que renforcer le sentiment de parti pris et de mépris du cadre légal.
Enfin vient la question du bon sens attaqué. La loi électorale étant tellement interprétée a minima que celle-ci, peu à peu, en perd son esprit. Souvenons-nous qu’il y a quelques mois, le DGEQ se déclarait incompétent à étudier les contributions de la « pré-CAQ » version OSBL, puisqu’elle n’était pas un parti politique reconnu. Pourtant, en vertu de la Loi électorale, on pouvait légitimement soupçonner que cette dernière faisait la promotion du parti à venir avec des contributions exceptionnellement généreuses de citoyens. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en suivant ce raisonnement rigoriste et pusillanime à la situation qui nous occupe ici, les débats en période électorale pourraient aisément être inéquitables « qualitativement et quantitativement », sans même que cela puisse être remis en cause par les garants de la Loi électorale du Québec et de la Loi sur la consultation populaire.
Nous ne pouvons évidemment que regretter cet ensemble de décisions qui dénotent une certaine complaisance vis-à-vis de la hiérarchisation faite, probablement de bonne foi, entre les formations politiques. En effet, cette hiérarchisation revient souvent à condamner certaines d’entre elles au silence. Il est d’autant plus dommageable qu’en agissant de la sorte, les groupes télévisuels les confinent finalement à un rôle d’arrière-plan avant même que les citoyens aient pu se prononcer et contribuent par la même à brouiller le jeu électoral. Comment réagiront notamment les milliers de jeunes qui appuient Option nationale et Québec solidaire, principales victimes de ces décisions? Ne sommes-nous pas là en train d’alimenter le cynisme en tournant les coins ronds? Qu’il s’agisse des élections à date fixe ou de l’encadrement des temps d’antenne en période électorale, en passant par un scrutin plus respectueux de la diversité des opinions, il est grand temps de dépoussiérer le jeu démocratique québécois.

Et la richesse sociale du diplôme?

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Texte publié dans l’édition du 3 mai 2012 du quotidien Le Devoir

L’argumentaire pour la hausse développé hier dans les pages du Devoir par un certain nombre de personnalités réduit les diplômes à leur apport économique individuel. Il passe complètement à côté des avantages économiques et sociaux collectifs de l’accès universel à une éducation de qualité. Dans un pays riche et développé comme le Québec, la question des droits de scolarité n’est jamais une question de faisabilité. C’est une question de répartition de la richesse et de choix politique.

Il faut le dire : la force économique du Québec-pays permettra de se doter d’un système scolaire gratuit, alors que la marge budgétaire du Québec-province permettrait tout de même un gel des droits de scolarité. Nous refusons l’argument de la « juste part ». Est-il juste de demander à l’étudiant de payer avant même de devenir un contribuable, le forçant à travailler pour faire ses études, une part qu’il pourra rendre au centuple plus tard en payant, grâce à son éducation, plus d’impôts que la moyenne, au bénéfice de l’ensemble de la société ?

La fixation canadienne

On nous ressasse la comparaison avec le Canada et les États-Unis, espérant que le Québec puisse les imiter. On reste les yeux rivés sur l’Amérique du Nord, en oubliant nos amis mexicains qui jouissent de la gratuité scolaire. Le discours économique vante la mondialisation, mais pour le financement de l’éducation on devient myope, restreint au modèle canado-étatsunien. On cite rarement les modèles de faibles droits de scolarité et de gratuité. Outre le Mexique, dans plusieurs pays d’Europe, l’université y est gratuite ou moins chère qu’ici. C’est le cas de la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark ; bref, tous les pays nordiques, les plus avancés socialement et économiquement de la planète, auxquels s’ajoutent entre autres la République tchèque, la France, la Belgique, l’Autriche, la Suisse, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. En cette époque, s’arrêter à cette proximité géographique relève presque d’une forme de repli sur soi.

La hausse des droits est réductrice de plusieurs façons, même sur le plan économique, car axée sur l’individu et le court terme. De plus, la comptabilité économique a ses limites. Quand des esprits bien formés mettent de l’avant des politiques contre l’intimidation ou la maltraitance, il y a là la poursuite d’un mieux-être collectif qui vaut plus que de l’argent.

Une vision économique d’ensemble consisterait plutôt à mieux situer le budget de l’éducation dans celui du Québec tout entier. Plusieurs sources de revenus du Québec sont possibles pour financer les collèges et les universités, dont les redevances sur les mines, comme il se fait ailleurs dans le monde.

… et la myopie provincialiste

Le problème du sous-financement des universités ne doit pas faire abstraction du cadre fédéral. On oublie trop souvent qu’il provient essentiellement des coupes des transferts fédéraux à l’éducation depuis 1994-1995, transferts payés d’ailleurs par nos impôts. Mais après ces compressions, Ottawa a préféré utiliser notre argent pour s’ingérer dans le champ de l’éducation, sans tenir compte des responsabilités des provinces (Bourses du millénaire, Fondation canadienne pour l’innovation, chaires de recherche du Canada).

Ces transferts directs aux personnes ont un impact sur le budget du Québec et sur celui des collèges et des universités, en les forçant à payer des subventions d’appariement, des frais indirects, des achats de matériel et de services d’entretien des laboratoires au soin du Québec.

Le régime fédéral accentue ainsi un déséquilibre fiscal qui nous coûte plus de 800millions par année en créant ce mal-financement. Il y a là amplement de quoi refinancer les universités. Avec les quelque 4,5milliards que représentent les coûts de la défense par année pour le Québec, le choix de l’indépendance se pose clairement dans le dossier de l’éducation comme dans bien d’autres.

Pour la démocratisation du savoir

Peut-on se permettre de revenir à l’époque où les riches étaient les seuls à avoir accès aux études ? Les meilleurs emplois sont le fruit d’innovations technologiques. Ils exigent une formation de pointe. Notre meilleure arme dans la mondialisation demeure l’éducation et la formation d’une main-d’oeuvre spécialisée, seul rempart contre les délocalisations.

Avec son Plan Nord, Jean Charest veut confiner le Québec à l’exportation de matière première. L’avenir est à l’économie du savoir et à de solides secteurs secondaire et tertiaire. Mais notre gouvernement provincial refuse ce levier qu’est l’éducation et abdique sur l’accès aux études comme sur la transformation locale des ressources du Nord.

Il fait la leçon aux étudiants, mais ne prend pas les moyens budgétaires et politiques pour amener Québécois et Québécoises vers une économie plus compétitive mondialement, plus productive économiquement et socialement.

 

Ont signé ce texte : Angèle Richer, Siegfried L. Mathelet et Gilbert Paquette, appuyés par André Binette, Jocelyne Couture, Micheline Labelle, Andrée Lajoie, Florent Michelot, Ercilia Palacio, Pierre Paquette, membres du CA des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO).

Réformes démocratiques – Des tentatives étouffées par le cadre canadien

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Texte publié dans l’édition du 30 décembre 2011 du quotidien Le Devoir

Plusieurs projets de réforme des institutions politiques québécoises ont été mis de l’avant au cours des dernières années. Ces projets sont l’œuvre de membres de certaines formations politiques ou de groupes de citoyens qui militent au nom de leurs idéaux démocratiques et qui désirent contribuer à une revitalisation de notre démocratie. Ces initiatives, qui sont fort louables, vont d’une réforme du mode de scrutin à des élections à date fixe, en passant par l’élection du premier ministre au suffrage universel, les référendums sur initiative populaire, la possibilité de destituer les députés au cours de leur mandat ou la convocation d’une assemblée constituante.

Ces propositions procèdent souvent d’une méconnaissance des limites du cadre constitutionnel canadien qui a été imposé au Québec et dans lequel il est enserré. Nous partageons en effet avec les dictatures et les colonies la pire des atteintes à la démocratie, celle de pas avoir conçu ni approuvé la constitution qui nous régit. Or, il se trouve que certains projets de réforme s’inscrivent dans ce cadre constitutionnel tandis que d’autres sont incompatibles avec lui.

Dans tous les cas, on semble réfléchir comme si ces limites n’existaient pas ou comme si elles étaient plus souples qu’elles ne le sont en réalité. Ignorer ces limites, c’est courir le risque de s’épuiser pendant des années à tenter de réaliser des projets qui ne peuvent pas aboutir sans passer à la souveraineté ou, s’ils aboutissent dans le cadre actuel, de s’exposer à ce qu’ils soient contrecarrés par les tribunaux canadiens.

Compétence limitée

Ainsi, on peut affirmer que si une constitution interne formelle de la province de Québec n’a pas encore été adoptée malgré le fait qu’elle a été proposée sérieusement à de nombreuses reprises, c’est que la nécessité de la subordonner à la Constitution canadienne obligerait à reconnaître celle-ci, renforcerait le statu quo et priverait ce projet qui se veut mobilisateur d’une grande partie de son intérêt. La compétence accordée à une province par la Constitution du Canada de modifier sa propre constitution est très limitée; elle est beaucoup moins étendue que d’aucuns semblent le croire ou l’espérer.

Plusieurs projets de réforme gagneraient en crédibilité ou en pertinence si l’on gardait à l’esprit les limites constitutionnelles actuelles. D’autre part, la prise de conscience de ces limites est un argument fort en faveur de l’indépendance du Québec. Il paraît utile de mieux situer ce débat en rappelant certaines données fondamentales du droit constitutionnel canadien.

La démocratie directe n’existe pas en droit canadien

Au début du XXe siècle, l’Assemblée législative du Manitoba avait adopté une loi par laquelle elle avait renoncé à sa compétence législative en faveur d’une démocratie directe exercée par les citoyens dans des référendums d’initiative populaire. Cette loi fut déclarée inconstitutionnelle parce qu’un parlement dans un régime politique de type britannique ne peut abdiquer sa fonction législative ni la transférer à une autre assemblée. C’est pour cette raison que les référendums ne peuvent pas être décisionnels en droit canadien et que les législateurs et les tribunaux sont libres d’en interpréter la portée.

Assemblée constituante québécoise

Une assemblée constituante québécoise serait par définition inconstitutionnelle si elle prétendait être décisionnelle, passer outre à l’Assemblée nationale et ignorer le cadre constitutionnel canadien. Ses décisions ne pourraient être effectives que si la souveraineté était réalisée. Elle pourrait siéger, délibérer et adopter des textes avant le passage à la souveraineté, mais ceux-ci n’auraient aucune valeur juridique dans le cadre de la Constitution canadienne.

Impossible d’abolir la monarchie constitutionnelle

On sait que pour abolir la monarchie, il faut l’unanimité des dix provinces et du Parlement fédéral selon la Loi constitutionnelle de 1982. Les fonctions de gouverneur général du Canada et de lieutenant-gouverneur du Québec ne peuvent donc être abolies avant l’accession du Québec à la souveraineté. Quelle que soit son ampleur, aucune réforme de nos institutions politiques dans le cadre canadien ne permettrait de remplacer le lieutenant-gouverneur, qui est nommé par le gouvernement fédéral et dont la signature est une condition incontournable de la validité de toutes les lois du Québec en droit canadien.

Impossible d’abolir le régime parlementaire de type britannique

La monarchie canadienne n’est pas qu’un symbole vain et coûteux. Juridiquement, elle sert de fondement au principe du gouvernement responsable qui est au coeur de notre régime parlementaire. C’est ce qui se dégage clairement d’un jugement de la Cour suprême rendu en 1987 dans l’affaire SEFPO c. Ontario.

Des conséquences

Il découle plusieurs conséquences importantes de ces limites constitutionnelles à la réforme des institutions démocratiques au Québec:

Les élections à date fixe sont légales, mais un parlement doit exceptionnellement pouvoir à tout moment renverser un gouvernement et provoquer des élections prématurées, car le principe du gouvernement responsable est de nature constitutionnelle.

L’élection d’un premier ministre au suffrage universel, qui serait en réalité un premier pas vers un régime présidentiel, serait juridiquement impossible dans le cadre canadien, car ce régime est incompatible avec le principe du gouvernement responsable devant le parlement. Dans un régime présidentiel, le gouvernement doit directement répondre de ses actes devant le peuple, et non devant l’Assemblée nationale. Par ailleurs, «ce président» ne pourrait remplacer le lieutenant-gouverneur dans la nomination des ministres ou la signature des lois.

La «ligne de parti» si souvent dénoncée par des parlementaires de tous les partis et par de nombreux citoyens est elle-même issue du principe du gouvernement responsable, car celui-ci implique que l’existence du gouvernement repose sur la confiance du parlement, confiance qui est «fabriquée» par la discipline partisane. Cette ligne de parti, qui pourrait être assouplie considérablement dans un régime présidentiel, est dans les faits imposée par le cadre constitutionnel canadien et est inhérente au parlementarisme de type britannique protégé par la Loi constitutionnelle de 1982; elle ne peut donc être assouplie qu’à la marge.

Le principe général établi par la Cour suprême en 1987 selon lequel elle verrait d’un mauvais oeil toute création d’institutions politiques étrangères et incompatibles avec le système canadien l’amènerait probablement à condamner une réforme du mode de scrutin qui adopterait une proportionnelle intégrale, par opposition à une réforme mitigée qui ne corrigerait que les distorsions les plus criantes de la volonté populaire engendrées par le mode de scrutin actuel.

Ces limites au pouvoir constituant québécois fixées par la Cour suprême du Canada sont peu connues et ne font que rarement partie de la réflexion politique actuelle. Il faut les avoir à l’esprit avant de proposer de bonne foi des réformes qui, comme de très nombreuses autres, risquent d’aboutir dans le cimetière bien rempli des idées politiques. Seule la souveraineté du Québec donnera au peuple québécois la pleine capacité d’innover, d’approfondir sa démocratie et de se donner des institutions qui seront entièrement légitimes à ses yeux.

***

Ce texte à l’initiative d’André Binette ,Avocat et appuyé par le conseil d’administration des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO): Jocelyne Couture, Micheline Labelle, Andrée Lajoie, Siegfried Mathelet, Gérald McNichols-Tétreault, Ercilia Palacio-Quintin, Gilbert Paquette, Vladimir De Thézier, Jean-François Payette, Alexandre Warnet.

Aborder les questions migratoires avec respect et rigueur : c’est possible

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Réponse à la chronique de Christian Rioux de ce jour

Habitué aux chroniques de M. Rioux que je trouve généralement justes, je n’ai pu m’empêcher de grincer des dents en découvrant son article dans l’édition du 1er décembre dernier. De cette chronique, je regrette principalement qu’il soit fondé sur la seule thèse défendue par M. Algalarrondo, thèse présentée, finalement, comme étant la seule alternative à l’irresponsabilité de ceux qu’il qualifie de gauche « Bobo ». Nous ne nous arrêterons pas ici sur le fait que le Nouvel observateur représente d’une certaine manière cette gauche urbaine et branchée qui a largement alimenté le décrochage de la gauche de gouvernement d’avec les Français les moins nantis, même s’il y aurait déjà là matière à débat…

D’abord, il y a ce rejet du revers de la main de l’idée selon laquelle la République française n’aurait aucune responsabilité intrinsèque en matière d’immigration. Pourtant, de la création de Légions étrangères en 1789 aux héros polonais de la Commune de Paris de 1871, l’immigration s’est toujours trouvée au cœur du destin français, y compris dans ses pages révolutionnaires les plus marquantes. Rappelons-le, la Nation française contemporaine, celle de la reconnaissance des droits naturels de l’Homme, est donc éminemment civique.

Surtout, on développe ensuite dans cet article l’argument selon lequel, dans le fond, la défense du plus faible serait un jeu à somme nulle et que défendre la cause des immigrés ne saurait être compatible avec la défense du prolétariat. Or, c’est tout à fait l’opposé de ce que défend notamment le Front de gauche, représenté par M. Mélenchon à l’élection présidentielle. M. Rioux ne peut dénoncer les égarements d’une certaine gauche en n’évoquant, pour seul contrepoint, que le discours suintant la haine de la famille Le Pen.

Le « lepénisme à rebours », nous le réprouvons, car une autre gauche existe en France, une gauche qui assume son héritage riche et complexe sans se fourvoyer dans le nombrilisme ethnocentrique ni dans le libéralisme irresponsable.

Entre le désintérêt des sociaux libéraux de Terra nova pour les classes ouvrières et un certain patronnât qui se réjouit de la corvéabilité des immigrants, il existe une autre voie. Les immigrés clandestins — qui, entendons-nous, quittent rarement leur pays d’origine pour le plaisir — constituent, par la force des choses, une main-d’œuvre peu coûteuse et peu regardante de ses droits sociaux. En effet, la dénonciation et la reconduite à la frontière sont leur épée de Damoclès face à toute revendication. En bref, voici là des personnes trop souvent dramatiquement exploitées par des patrons sans vergogne. Quant au reste du salariat, il est de facto victime d’un dumping social inavoué qui tire les réglementations sociales vers le bas.

Doit-on en déduire qu’il faut nécessairement exclure ces individus? Ce serait totalement illusoire, en plus d’être inhumain. Les estimations les plus basses du niveau d’immigrants illégaux en France le situent autour de 200 000 personnes. Au rythme déjà frénétique de 25 000 reconduites à la frontière annuelle, il faudrait donc s’attendre à près de 10 ans de rafles dans les transports en commun et de descentes policières dans les écoles pour tenter de juguler l’immigration clandestine, si l’on suppose naïvement que l’entrée sur le territoire français pourrait en plus être stoppée net du jour au lendemain.

Face à cela, il n’y a qu’une solution viable, c’est la régularisation complète des immigrants illégaux sur le territoire. C’est autant une question d’Humanisme et d’héritage historique consistant à redonner leur dignité aux travailleurs, sans distinction d’origine, que de bon sens économique et social. À ce dernier égard, nous finirons d’ailleurs en rappelant les conclusions d’une étude menée par l’équipe du Pr Xavier Chojnicki de l’université Lille-2 évaluant le gain de l’immigration en France à 12,4 milliards d’Euros par année pour les finances publiques. L’immigration, en plus d’être une source d’enrichissement incontestable, est payante… Plutôt que de focaliser sur les erreurs d’une tendance politique, le propos de M. Rioux aurait gagné en profondeur à étudier les propositions viables de l’autre gauche.

Vandalisme sur la Maison St-Dizier : un geste mû par une crasse ignorance de l’histoire

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Publié dans l’édition du 11 août 2011 du quotidien Le Devoir

La Maison Étienne-Nivard de Saint-Dizier

Passionné d’Histoire, et alors que je me réjouissais encore de la programmation du Mois de l’archéologie qui mettrait en valeur les récents travaux de restauration effectués à la Maison Étienne Nivard de St-Dizier de Verdun, quelle ne fut pas ma stupeur d’apprendre que ce même édifice venait de faire l’objet de vandalisme par quelques prétendus graffiteurs!

Car, entendons-nous bien, il ne s’agit pas là de graffiti. Depuis plusieurs années, je suis de ceux qui considèrent le graffiti comme une forme d’art à part entière, avec ses codes qui lui sont propres, son histoire et, évidemment, ses représentants, souvent talentueux. Certes, c’est un média qui ne jouit pas toujours d’une bonne réputation et est logiquement parfois incompris. Le sociologue Pierre Bourdieu expliquait ainsi que « toute une partie de l’art contemporain n’a pas d’autre objet que l’art lui-même ». Effectivement, c’est cela la richesse complexe du graffiti : l’art pour l’art, juste pour l’art, dans toute la puissance de sa liberté, s’affranchissant des règles et de la bien-pensance pour colorer la froideur de l’omniprésence du béton et, au final, nous permettre de redécouvrir certaines parties de la ville avec le regard d’un esthète.

Bien sûr, dans le graffiti, tout n’est pas de la même qualité et lorsque l’on parle de l’art « pour lui-même », cela devrait présupposer deux choses chez celui qui se veut artiste. La première est évidente, il ne s’agit pas de confondre l’art avec un pathétique besoin de reconnaissance personnelle. Un tel geste serait plutôt le fruit d’un novice, irrespectueux de l’œuvre de ses aînés, motivé par autre chose que la seule expression de sa créativité, un Toy, comme on dirait dans le milieu du graffiti.

Le deuxième aspect est plus subtil et découle en quelque sorte du premier : il s’agit de la capacité de tout un chacun de percevoir l’art et, plus généralement, la portée patrimoniale de ce qui nous entoure et donc nous précède. Cela s’applique évidemment aussi au support qui pourrait être retenu et implique donc un minimum d’humilité, ce que, de toute évidence, n’avaient pas la ou les personnes ici responsables.

J’ai en mémoire la destruction récente de « pièces » de graffiti datant de la fin des années 1980, certainement du fait de l’ignorance du propriétaire. À mon avis, ce fut là un geste extrêmement triste, mais comment en vouloir à ce dernier de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur un art qui n’est que marginalement reconnu et souvent déprécié par des énergumènes du type de ceux à qui nous avons affaire ici?

Inversement, saccager un site historique, perçu comme tel par l’ensemble de la collectivité, relève d’une bêtise aussi grande qu’effrontée. En l’espèce, la notoriété publique de la Maison venant de sa propre valeur patrimoniale, le ou les auteurs ne peuvent donc pas se réfugier derrière l’ignorance pour justifier leur geste.
En bref, les exécutants de ces « peintures » n’ont aucune prétention à tirer de leur méfait et ne méritent pas de se réclamer d’un mouvement artistique qui a connu Jean-Michel Basquiat parmi ses précurseurs. Leur acte est confondant de stupidité et sa réparation impliquera certainement des travaux d’une lourdeur particulière en raison du caractère historique du site : croisons les doigts qu’ils n’en compromettent pas l’intégrité.

Dans ce Québec qui peut-être trop souvent oublie ironiquement sa devise, il serait juste de trouver un peu plus de fierté dans notre patrimoine. « Tout détruire, disait métaphoriquement Albert Camus, c’est se vouer à construire sans fondations; il faut ensuite tenir les murs debout, à bout de bras. » Et si, plutôt que de tenir inconfortablement, à bout de bras, les murs de ces lieux majestueux négligés ou abandonnés à travers le pays, en geste d’exemplarité, cela devait commencer par une plus grande considération de nos institutions publiques à l’égard de notre histoire, de sa promotion et de sa transmission?